Suède 2024 - Kungsleden / Sarek / Padjelanta Suède > Padjelanta

Mike

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  • author: Mike

Durée : Plus de 4 jours

Distance : 180,0 km

Difficulté : Moyenne

Altitude de départ : 390m

Altitude de chaussage: 390m

Pulka : accessible

Au tout début de l'année 2024, me voilà de retour au dessus du cercle polaire pour deux petites semaines d'itinérance, en autonomie totale et en solo.

L'objectif est de "boucler" au départ de Kvikkjokk, en empruntant le Kungsleden, puis en traversant le Sarek, pour enfin m'extraire sur le Padjelanta et redescendre à mon point de départ.

J'ai prévu large en terme de ratio km/jour, pour m'éviter les déconvenues rencontrées au Hardangervidda l'an passé, pour mieux anticiper mes éventuelles exit-routes si nécessaire, mais aussi et surtout pour pleinement profiter de chaque jour et de chaque segment de ce beau voyage.

C'était une belle et riche expérience, en matière de paysages, de terrains et de conditions, avec en point d'orgue une bonne tempête qui m'a cueilli sur un col vraiment pas propice, le 14 février, à mi chemin et mi temps.

Je précise que la distance renseignée est très théorique : pour économiser la batterie du gps, je n'enregistre pas ma trace. Cela correspond toutefois plus ou moins, d'après la trace que j'ai recréée à l'issue sur le logiciel Garmin, hors les quelques inévitables zigzags qui ont du rallonger un peu le tout.

Acte 1 : Kungsleden

 

Le 06 février à 17h50, le bus me lâche devant l'église de Kvikkjokk. Seul, je trie mes 70kg de bagages à même le sol ; L'heure est à la rapidité et à l'efficacité, car, outre la nuit déjà bien installée, le froid est saisissant.

Les skis aux pieds, je glisse lentement vers un parking situé à l'orée des bois, où je m'installe pour ma première nuit. Premier montage de tente, premiers ronronnement du réchaud, premier repas lyophilisé ; La météo s'annonce plutôt ok, avec un vent modéré les prochains jours, un ciel assez dégagé, mais des températures bien froides.

Au petit matin, je relève -32° au lever du jour. J'ai choisi de faire une demi journée, pour m'habituer à l'effort, pour "juste" franchir la grosse montée qui m'attend et pour profiter d'encore un peu de réseau histoire de réserver mes billets de train retour.

Le départ sur le Kungsleden est glacial, mais superbe. La piste, ici damée, louvoie entre les arbres jusqu'à atteindre un plateau ; Quelques segments se font sur des inclinaisons bien féroces, qui me font pester et marcher sans les skis. Je surchauffe un peu même, malgré des températures qui ne décollent pas. 

Une mise en jambe bien dure, et un premier "vrai" bivouac magnifique, avec déjà de beaux reliefs qui se dessinent dans le couchant.

Le lendemain matin, je sens déjà que mes jambes ont bien du mal à travailler. Heureusement, la journée est un peu plus facile, avec un peu moins de dénivelé cumulé et pas de "bavante" en montée.

Je traverse un premier lac gelé ; Pas de doute, même hors trace, c'est béton. Par -25°, je me dis "encore heureux" ! 

En milieu d'après midi, le vent se lève et un peu de neige commence à tomber ; Alors que je songe à poser le camp, je croise un duo de français qui arrivent en sens inverse, depuis le refuge d'Aktse. On discute un peu : visiblement l'un des deux se traîne un tendon d'Achilles en vrac. Nous poursuivons ensuite nos routes respectives.

J'entame de terrasser mon espace vital peu de temps après, l'obscurité arrivant à grand pas. Je croise cette fois un couple francophone, même sens et même destination que mes deux camarades de cet après midi. Pas de bobo pour eux, mais la perte d'une gopro en chemin ; Je garde les coordonnées, et j'ouvrirais l'oeil ! Je commence à trouver ma solitude d'hiver déjà bien peuplée finalement ^^

Encore deux jours seront nécessaires pour m'éclipser de la trace du Kungsleden et m'orienter derrière le delta du Laitaure et commencer à arpenter les vallées du Sarek.

Encore deux jours de trace parfois toute faite, de bosquets à la neige immonde, de lacs de toute taille, et de grisaille une bonne partie de la journée.

Deux jours aussi, où mes soirs ont été constellés d'étoiles dans un ciel parfaitement cristallin, et sous des températures bien fraîches (respectivement -25°, puis -30°).

Enfin, je débouche face au refuge d'Aktse, et je m'oriente Ouest / Nord Ouest sur les bras de la Rapaätno.

La progression est compliquée, tant les méandres de la rivière sont multiples et présentent tous des conditions de neige et de regel divers et variés. Neige poudreuse, profonde ou non, glace ouverte, moulins d'eau, franchissement de talus... Les deux premiers jours pour "entrer en Sarek" se méritent.


Acte 2 : Sarek

 

Le 11 février, j'y suis enfin. Au petit matin, par -35°, je contemple Skierffe - la montagne emblématique qui marque l'entrée en ces terres - depuis le pas de mon vestibule.

La nuit a été épouvantable, je n'ai pas souvenir d'avoir jamais eu si froid. Malgré le matelas Exped Dura 8 R et le Valandré Thor, je me suis gelé ! 

Mais le soleil (relatif, au fond des vallées, on n'en profite que bien peu !) m'incite à bouger et à avancer.

Le premier jour est éprouvant physiquement, à devoir chercher mon chemin dans les sillons des rivières et sur les petits talus qui me barrent la route ; Moralement, aussi, avec une glace souvent fragile et effrayante. Je skie toute la journée au son des flots qui s'agitent sous mes pieds, et le soir venu, ma tente n'est pas plus efficacement posée que sur le courant figé.

Le lendemain est un combat un peu moins équilibré : les pièges de la rivière me sont masqués par la poudreuse. Et ces pièges sont nombreux ! Plusieurs fois, je teste des passages, et en change à la dernière minute devant la fragilité apparente des ponts qui s'offrent à moi.

Jusqu'à la fin de matinée, où je me retrouve à devoir sillonner une grande surface gelée, qui finit par céder presque entièrement et sur une grosse superficie. Grosse frayeur, mais j'arrive à m'extraire sur le côté à grands coups de bâtons et de sauts de cabri.

Fort heureusement le reste de la journée se fait sur une zone bien plus facile à skier, jusqu'à la confluence d'une vallée secondaire, où j'ai prévu de poser la tente. Le vent vient toutefois me fouetter le visage, et si les températures sont bien remontées, elles stagnent tout de même autour du -20° ; Avec la brise qui s'est levée, c'est bien désagréable.

 Les prévisions météo me laissent entrevoir des journées un peu plus difficiles pour les 13, 14 et 15 février.

Des températures de -15 à -25°, et des vents en rafale qui ne vont forcir : 40km/h le premier jour, 55km/h le suivant. En théorie.

Pour ajouter au plaisir, mon corps me donne des signes de faiblesse aujourd'hui : côté droit c'est contracture du mollet, et côté gauche des douleurs lancinantes au genou (qui a un mauvais passif, assez récent). Je m'extrais de la première pente du matin, un peu en brassage, et déjà le vent se lève. L'après midi, les 40km/h seront bien dépassés, les rafales étant même largement supérieures à ce qu'annoncé la veille.

Je sens poindre la galère du montage de tente.

Je ne me trompe pas : j'arrive dans une zone très ouverte aux vents, peu pourvue en neige au sol. Je galère un long moment à tout préparer et ancrer, mais une fois la mise en place initiale faite, je peux prendre le temps de bétonner mon camp, comme tous les soirs.

Dehors, ça souffle très fort. Les prévisions de St Valentin ne sont pas bonnes : 50km/h le matin, mais susceptibles de baisser au fil de la journée.

Ce soir, j'ai un appétit d'ogre, et je dévore mes rations sans aucun compromis !

Voilà, nous sommes le 14 février, et mon tête à tête avec Dame Nature commence. Je ne pars qu'après 10 heures, le vent un peu apaisé. 

La visibilité est quasi nulle, et le sol piégeux. Dévers, changements brusques d'adhérence,  cailloux invisibles ... J'en bave pour avancer. Le GPS aussi ! Les températures redescendent sous les -20° et les cristaux liquides se figent rapidement dès que je l'expose un peu trop longtemps.

Au plus les heures passent, au pire ma situation va se dégrader. Le vent redevient puissant, le jour s'éteint doucement, et le terrain met ma patience et mes muscles à rude épreuve. Au bas de la vallée, le piège se referme définitivement.

L'histoire est bien longue, mais la finalité est que je me retrouve dans un col très évasé sous des assauts d'un vent violent, avec une heure de "soleil" devant moi et un premier refuge en dur à au moins 15km. Le GPS ne peut être exposé sans qu'il ne gèle instantanément, et tout mon environnement commence à se fondre dans les brumes et les nuages de neige.

Je fais le choix de ne pas continuer avec une orientation boussole précaire et un terrain illisible, de nuit, pendant de longues heures. La dernière fois au Hardangervidda, j'ai traversé une corniche en avançant au pif, ça m'a enseigné certaines choses, et ça a gommé certaines certitudes que j'avais derrière un écran et qui ne tiennent pas toujours face aux réalités du terrain...

Je prends le temps de faire un mur de neige en utilisant un peu de relief à mon avantage. A peine la toile de tente étalée et les premiers ancrages en place, le vent décide de me jouer un vilain tour, et de bifurquer pour frapper de côté ! Je suis dépité, allongé de tout mon corps sur la toile.

Mon masque a entièrement gelé, certaines rafales me font décoller du sol et retomber lourdement, j'ai la sale impression que c'est entrain de tourner au vinaigre !

J'évalue calmement mes options : un trou de neige ? impossible, il n'y a quasi aucun relief, pas de pente franche, pas de corniche ou congère, et trop peu de neige au sol. Le refuge ? Sans orientation béton, hors de question. Un  rocher à proximité ? Le vent en fait le tour complet...

Le GPS est complètement mort, ce qui veut dire qu'il n'y aura aucun SoS possible si ça venait à encore se compliquer.

La nuit arrive, et ça fait déjà plus d'une demi heure que je me bagarre avec les éléments sans trop pouvoir bouger. Je commence à craindre une hypothermie ou un début de gelures, mais mon équipement va étonnamment bien me protéger, au moins une bonne nouvelle.

Finalement, je profite d'une poignée de minutes d'accalmie pour jeter à nouveau ma tente sur le sol, l'ancrer aux quatre coins et la dresser. C'est bon ! Maintenant, même si je dois encore passer presque 1 heure et demi de plus pour être certain de consolider et de me protéger, c'est fait !

Je suis un zombie dans mon vestibule. Il faut que je puise les dernières ressources mentales pour réaliser les tâches les plus simples, comme étaler et gonfler le matelas, faire fondre la neige, me changer ... La toile claque à tout rompre, le vent me brise les tympans, et je suis exténué.

Demain s'annonce mieux, et le changement de temps amorcé par la tempête va me permettre de gagner pas mal de degrés et ne pas apporter trop de vent ni de précipitations les prochains jours.


Acte 3 : Padjelanta

 

Une bonne bavante du 15 février, quelques longueurs bosselées, et me voici maintenant près à rebasculer vers le Padjelanta. Je me trouve une espèce de petit canyon glacé à descendre à skis pulka ... le défi est stupide, mais l'endroit est trop beau pour ne pas me changer en gamin l'espace d'une heure !

Après la journée d'hier, je suis juste heureux de skier ce petit morceau incongru mais tellement joli sous les lumières de fin de journée.

Adieu Sarek ! Quel pied c'était, malgré les tempêtes !

Pendant encore deux jours de mon retour vers Kvikkjokk, je suis seul au monde, sans aucune trace de ski ou de motoneige, c'est plaisant. Je suis le cours de l'eau, ici bien gelé et solide, et les kilomètres sont rapidement dévorés. 

Je choisis de ne pas faire de détour ou d'étendre le trajet ; Je ne sais pas quelles conditions m'attendent plus bas, surtout dans les longues parties boisées qui pourraient poser encore d'énormes problèmes de neige pourrie. 

Dans le doute, je choisis de découper mon retour en 5 petites journées (presque des demi journées de ski, à dire vrai).

L'avenir ne me donne pas complètement tort : il y aura deux jours où la rivière et sa forêt attenante vont éprouver mes nerfs et me pulvériser physiquement. Impasses, demi tours, et neige immonde vont s'enchaîner !

Un matin, nul part au milieu des bois, alors que je pack ma tente, j'entends des voix ... je crois qu'il s'agit du vent, mais pourtant non, c'est mes deux jeunes français du 2è jour que je recroise, 10j plus tard dans la forêt.

On discute un peu, puis je reprends leurs traces tandis qu'ils vont s'orienter sur les miennes pour rejoindre la rivière, hors de ces bois inhospitaliers.

Une fois le fond de vallée regagné, les motoneiges sont résolument de sortie. Je n'ai alors plus qu'à suivre leurs traces ; C'est un peu lassant, mais finalement, après avoir encore pas mal galéré ces derniers jours, je me satisfait de cette piste de fortune damée.

Voilà la fin de l'aventure qui approche à pas de loup ; Je glisse sans trop de résistance, j'allonge artificiellement le temps, je gonfle mes jours et mes nuits de toute une infinité de petites choses.

J'essaie de faire durer le plaisir, maintenant que je réalise que j'ai réussi à boucler la boucle. J'avais bien prévu un itinéraire "long" sur mes plans, mais il faut reconnaître qu'en l'état des conditions et de ma progression, c'était inenvisageable. 

Aucun regret : ce que j'ai fais, c'est de l'artisanal, à l'envie et à la passion. Je sais que ça n'a aucun prix.

Le 20 février, me revoici à Kvikkjokk, un énorme sourire gravé au visage, et l'envie, déjà, de retourner arpenter d'autres mondes de neige et de glace.


 

En bonus et pour les plus curieux, un lien vers mon site perso et le récit bien plus détaillé de cette itinérance (avec quelques images bonus, et beaucoup - trop - de texte en sus !)

-> Carnet d'Aventures : Suède 2024

 

Mike.

 

Météo

Variable, peu de précipitations, plutôt couvert, quelques très belles journées

-34°C à -20°C les 7 premiers jours, -15 à -5 la deuxième moitié

Vent quasi omniprésent, plutôt faible, tempétueux les 13 et 14 février

Condition de neige

Extrêmement mauvaise en sous bois, aucune consistance, enfoncement total (parfois plus d'un mètre !)

Plutôt bonne à excellente sur rivières gelées (attention aux gros cours d'eau ! moulins, trous, glace fragile etc...) 

Bonne à excellente dans le coeur du Sarek avec les altitudes plus élevées et le relief plus "nu" ; Petit manque de neige sur les cols (le vent peut être ?)

Activité avalancheuse observée

Néant sur tout le parcours

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