Kungsleden : Voie royale en Laponie Suédoise ! Suède > Kebnekaise
Ils sont deux polonais et trois français à arpenter chaque année les territoires du Grand Nord à skis et traîneau.
L'hiver dernier, ils ont passés une quinzaine de jours au pays des rennes : La Laponie suédoise.
Lifou, membre de ce raid et du site revient sur cette fabuleuse aventure.
Il nous décrit cette histoire croustillante avec de nombreux détails…qui donneront envie à d'autres de s'envoler vers ces terres arctiques !
Kungsleden - La voie royale
C’est la troisième année consécutive qu’en petit groupe nous réalisons un raid ski nordique-pulka dans le Grand Nord de l’Europe. Cette année nous sommes cinq et nous avons choisit une longue balade de 15 jours dont 11 à ski en Laponie Suédoise.
Au programme la célèbre Kungsleden avec départ d’Abisko à environ 200 km au nord du cercle polaire. Étant un peu trop connue nous prévoyons quelques variantes hors tracé central. Bien que peu risqué (refuges gardés, pistes balisées) il est toujours difficile de juger de la difficulté de chaque étape : les cartes aux 1/100 000 ne fournissent aucun détail, et entre une neige portante avec beau temps ou une profonde dans le blizzard, les mêmes distances paraissent double. On a choisit des étapes moyennes de 20 km donc a priori ne nécessitant pas d’exploit sportif !
Dans le détail :
1ère partie : Abisko, Abiskojaure, Alesjaure, Vistas, Nallo-Sälka, Hukejaure, Sitajaure, Ritsem, bus jusqu’à Kebnats, Saltoluokta.
2ème partie : Saltoluokta, Sitojaure, Aktse, vallée de Rapadalen/Sarek, Parte, Kvikkjokk.
Note : les références de lieu données par la suite sont celles des cartes suédoises au 1/100 000 BD6, 7 et 10. (Edition Lantmäteriets Fjällkarta)
[Kungsleden : présentation]
La Kungsleden, (Voie Royale en suédois), est un sentier de grande randonnée situé au nord de la Suède en Laponie.
A l’origine, la piste royale reliait Abisko à Kvikkjokk. Dans les années 1890, la construction d’une ligne de chemin de fer, le Riksgränsbanan ( Train de Kiruna (Suède) à Narvik en Norvège), permit à la STF (Svenska Turistföreningen homologue du CAF en France) de concevoir une piste de trekking rendant les montagnes de Laponie plus accessibles aux touristes. La station touristique d’Abisko fut l’une des premières grandes installations à ouvrir. Actuellement la Kungsleden fait 450 km. Il y a 22 refuges sur cet itinéraire. Le point culminant de ce sentier est le Tjäktapasset (1150m) col situé entre Tjäkta et Sälka.
Le point le plus bas est le petit village de Kvikkjokk.
La voie royale est entièrement balisée. En été avec des cairns ou des pierres peintes en rouge, et en hiver avec des croix rouges ou des jalons posé tout les 20 mètres environ.
[Itinéraire - Récit]
Voyage aller : Mercredi 19 Mars 2008
Lyon-St-Exupéry, nous ne sommes pas les seuls à se pointer avec pulkas et skis, un autre groupe isérois débordant de bagages et luges de tout format se fera aligner en taxe de surcharge ; avec nos 3 pulkas rangées impeccables et juste un petit sac à dos chacun on échappe à la taxation malgré la surcharge à environ 35 kg chacune, mais l’hôtesse nous prévient que l’on aura probablement moins de chance au retour.
Munich, c’est impeccable en transit, de grands hall spacieux et éclairés du jour, lectures, thé ou café gratuits à profusion.
Stockholm-Arlanda, ça démarre nettement mieux que l’année passée, car nos bagages sont au rendez-vous et cette fois pas de surtaxe pour Kiruna, mais ça fini pareil quand nous apprenons que notre avion ne partira qu’à 20H30 au lieu de 17H45. Au terminal 4 (vols intérieurs de Scandinavie) c’est comme d’habitude complètement bondé, pour pique-niquer le soir le seul endroit pour se poser est un stand de pub « American Exp. ». On se positionne à la porte 34, en attendant que la 32 prévue se libère et on part finalement de la 38…Encore 20mn de retard dans l’avion pour cause de surcharge de bagage ; par les hublots on observe le chargement de type remplissage de soute à charbon, avec une pointe d’inquiétude car pas de trace de nos pulkas ! Bref on confirme notre impression de l’an passé : les petites compagnies Suédoises (ici FlyNordic) sont « joyeusement » bordéliques.
Le survol de la Laponie en début de nuit est magnifique, l’éclairage lunaire révèle les grandes flaques blanches des lacs entrelacées des masses sombres des forêts ; ça et là les rares zones éclairées rappellent la trace de la civilisation ; faut dire que la Laponie suédoise ce n’est pas la foule : 102 000 habitants (0.16% de la France) pour 109 000 km2 (20% de la France).
Kiruna, atterrissage rigolo, la piste étant enneigée l’avion s’arrête trop loin, ratant la sortie pour le tarmac et doit faire demi-tour. Ça y est on est dans l’ambiance : -17°C et de la neige à l’envi : un bon mètre dans toute la Laponie. On zappe le bus pour la ville, car nos deux amis polonais sont venus nous y chercher en voiture. A l’auberge de jeunesse, vu l’heure il n’y a personne pour nous recevoir, heureusement sympa ils nous ont laissé les clés dans une boîte aux lettres à code numérique qu’ils nous ont indiqué au téléphone. Il y a deux auberges de jeunesse à Kiruna toutes les deux en pleine ville. Elles n’ont pas le charme d’un refuge en bois mais c’est propre, pratique et pas cher, et ajouter un bon accueil.
Le lendemain on a le temps de faire les courses de dernières minutes sur le chemin à pied de la gare. Il fait un froid de canard, mais un soleil d’enfer ; l’horizon sud-ouest de la ville est barré de gigantesques pyramides aplaties rappelant qu’il s’agit d’une des plus grandes villes minières d’Europe du Nord. Si vous voulez voir Kiruna actuelle et son hôtel de glace, ne traîner pas trop car comme souvent pour ces villes, son sous-sol est « miné » et il est prévu de la faire déménager.
A la gare plusieurs groupes équipés de pulkas ou skis nordiques attendent le train de l’extrême Nord (direction Narvik). On remarquera ici et plus tard que les locaux sont souvent équipés de matériel d’anciennes génération : y compris bois et fixation en ressort à boudins ! Mais pas de confusion ils savent parfaitement s’en servir sur leur terrain. Il n’y a plus de personnel dans ces gares, on règle directement dans le train. Le chef de train nous recommande de descendre à la deuxième gare d’Abisko (Tourism), mais il s’agit plutôt du départ d’été.
1 er partie - Cliquez sur la carte pour l'agrandir
Abisko - Abiskojaure – Jeudi 21 Mars 2008
De ce petit quai de bout du monde avec un cabanon de 20 m2, on part vers 13H. Après le franchissement du célèbre porche en bois, le petit sentier qui zigzag dans la forêt avec une neige de béton se révèle bien mal adapté à nos pulkas, rapidement on rejoint la rivière pour tracer dans un bel espace ouvert. Compte tenu du grand froid depuis déjà quelques semaines, du bon enneigement et du beau temps, la rivière ne pose pas de problème ; toutefois il y a quelques pièges en son milieu là où l’eau en torrent à repris ses droits ; donc sans visibilité ou temps chaud, il vaut mieux rester sur la piste balisée. Il y a du monde dans tous les sens en raison de ce temps magnifique et des vacances de Pâques. Comme d’habitude la première étape, heureusement courte (13 km), est celle du réglage du matériel, ça s’arrête et bricole beaucoup, on avance pas vite, mais qu’importe on est enfin sur le terrain. La sortie de la rivière pour rejoindre la large piste tracée par les motos-neige se révèle sportive, avec renversement à l’envi de certaines pulkas surchargées. Final superbe lorsque l’on débouche au couché du soleil sur le lac d’Abisko, c’est toujours dans ces moments que l’on oublie les petites galères précédentes. Traversée du lac sans se presser, profitant de ce premier décor vraiment montagneux, et l’on arrive au refuge à 18H dans l’ombre, c'est-à-dire à déjà -22°C. Grand refuge pratique, mais nos amis du Nord sont bien décidés à passer la nuit sous tente à 200 m de là; il fera -29°C !
Si l’année dernière dans le Padjelanta désert, c’était corvée de neige pour faire de l’eau, ici on découvre la variante trou-à-phoque. Variante commune à tous les refuges suivants car ils sont toujours au bord d’un lac ou d’une rivière. Il faut y puiser l’eau avec un seau ou une bonbonne au bout d’une corde dans un trou à peine assez large percé dans les 60 cm de glace ; et malgré un bouchon en isolant et bois, tous les matins il faudra casser la nouvelle couche de glace avec un harpon.
L’autre corvée est celle du bois de chauffage ; tous les refuges possèdent une remise avec une grosse réserve de bois, en général du bouleau. Chaque groupe scie et fend ses morceaux. Le gardien est juste là pour remettre de l’ordre après votre départ, vous renseigner, éventuellement vous vendre denrées et objets (un refuge sur deux) et percevoir le prix de la nuitée. Le bouleau brûle très vite, mais avec beaucoup de chaleur ; avec un petit « Jôtul » on réchauffe très vite une grande pièce.
Abiskojaure - AlesJaure – Vendredi 22 Mars 2008
Toujours une météo de rêve : très froid (au plus chaud de la journée -15°C), mais grand soleil et pas ou peu de vent. Les gardiens de refuge recommande de ne pas utiliser de la crème solaire car elle gèlerait le visage, mais plutôt de l’huile. On choisit naturellement cette option (Argane), mais si mes lunettes de glaciers protègent bien les yeux et leur pourtour, mon nez sans vraie protection en prendra un bon coup…
Départ trop tardif, entre réveil mal réglé et réarrangement des pulkas pour corriger les problèmes de la veille ; puis un peu plus loin des batailles avec les peaux de phoques.
Aparté technique : la neige épaisse est relativement bien damée par les motos-neige, on sort donc peu des traces ; cependant cette neige n’a encore jamais vu de réchauffement et à ces températures elle n’a pas la moindre cohésion. Nos skis Fischer-crown Nordic-cruiser court, large avec carres et surtout écailles très fines n’accrochent pas, d’autant qu’il faut remorquer une pulka chargé à 35 kg en autonomie quasi complète. Ça passerait en pur style de compète alternatif, mais avec une pulka lourde, ce n’est pas simple. Conséquence pendant la plus grande partie de ce parcours, on utilisera des peaux de phoques type Colltex mix de 38mm. C’est très efficace, mais bien sûr la glisse s’en ressent nettement. D’une discussion avec un spécialiste, il ressort que Fischer reconnaît que ce type de ski et écailles ne sont bien adapté qu’aux neiges de moyenne altitude des secteurs alpins ou préalpins. Pour le grand Nord Fischer disposerait d’une variante dédiée avec grosses écailles, type que l’on retrouve sur des marques nordiques comme Madshus. Avec ce froid, on rencontrera aussi quelques problèmes de collage, la meilleure solution sera de les coller au chaud (et ski chauds) dans les refuges ou de ne pas les décoller…
Plusieurs groupes prennent le départ pour Alesjaure, dont une grande famille allemande avec plusieurs adultes et ados tous en sacs à dos, et deux jeunes suédois tirés par un chien et leur mère avec le gros sac à dos sans aide…Après quelques kilomètres de fond de vallée arborée quasi plate, on attaque une montée très raide au point de passer à pied. Magnifique vue sur Abiskojaure, cette fois on est sortis de la végétation, à nous les désert blancs. Cette montée se prolonge d’un joli vallon en V à pente montante sans difficulté. Vers 13H le ciel se voile par l’Est d’une brume fantomatique.
On passera à coté d’un campement d’été d’éleveurs Sami. Brume, hutte en terre et squelettes de tente donne au lieu un aspect irréel de village fantôme dans un désert. On croise une de ces immenses barrières à rennes qui séparent sur plusieurs dizaines de km de grands territoires gérés par chaque clan de familles Sami. Les Samis se rassemblent par groupe d’une quinzaine de famille en moyenne. Le plus grand territoire de Laponie suédoise en regroupe une trentaine.
Le soleil revient dans l’après-midi permettant de découvrir cette première grande vallée lacustre d’altitude, de plus en plus magnifique au soleil couchant. En coupant par le lac, on arrive, encore dans l’ombre glaciale, au refuge d’Alesjaure perché sur un promontoire à l’extrémité du lac. Plusieurs bâtiments en bois de grande taille pratiques mais pas très conviviaux, pas mal de monde, plusieurs équipages de musher. Le ravitaillement en eau nécessite de redescendre raide sous le pont à l’Est et de remonter avec nos jambes fatiguées le bidon de 50l. MAIS il y a un sauna (mixte) ! Qu’on ne ratera pas trop content de se décrasser et se retaper un bon coup. Il fait parfaitement nuit quand nous ressortons, et les cheveux qui dépassent du bonnet gèlent aussitôt, et là second petit bonheur, l’horizon et la voûte céleste s’animent des farandoles d’aurores boréales. C’est encore léger ce soir, mais c’est ma première fois, trop magique ! Drapés blancs et verts, fuseaux intenses, au milieu de milliard d’étoiles…
Alesjaure – Vistas – Samedi 23 Mars 2008
Première variante hors piste : on trace vers l’est en passant au-dessus d’un gros village d’été Samis (Alisjävri) en bon état, où quelques enfants font de la luge. Ciel bleu intense, soleil sans fard, grand froid et toujours pas de vent. On abuse des appareils photos dans la montée ! La carte indique un vallon central cool, il n’en est rien : plusieurs petits vallons séparent des buttes très rocheuses, on en choisit un en suivant des traces de ski, le démarrage est raide, on monte en zig-zag.. Au fur et à mesure que l’on pénètre dans la haute vallée des petits lacs (Tjafjajaure), le paysage devient grandiose : pics blancs éclaboussés de soleil, glaciers, longue vallée étroite bordée de falaises noires, canyons, plus de poteaux aux croix rouge, juste une trace de moto-neige à peine damée et la compagnie non loin derrière de la famille allemande: on est passé dans un autre monde !
Coté terrain pas de problème au niveau des lacs, mais je ne repère pas les deux huttes indiquées. Dans la petite descente raide pleine neige, sous le « Vuolip Cazajavri » on retourne tous nos pulkas et c’est là le principal défaut des brancards, ils vous garrottent le ventre ! Ne pas suivre le pointillé indiqué qui correspond au chemin d’été, éviter le talweg central qui devient vite un léger dédale de végétation et rochers épars ; rester sur le coté Sud-ouest légèrement au-dessus du vallon. Lorsque la rivière commence à se former cette fois on reste plutôt sur le coté Nord-est. La vallée est étroite, surplombée d’impressionnantes falaises blanches et noires. Très vite on passe dans des zones d’ombres glaciales. A l’approche du refuge on découvre les brèches des vallées ouest de Unna et surtout de Nallo dans l’axe de soleil couchant, trop beau ! Cette étape sera la première d’un vrai grand bonheur de randonneur.
Le petit refuge de Vistas au-dessus de la rivière est très sympa : deux grandes pièces, chacune contenant dix lits superposés (2,3,3,2) et une salle à manger/cuisine. Mais arrivé tôt on décide d’en profiter pour planter la tente tout près. Le vieux gardien que l’on verra très peu, nous laisse occuper le refuge à l’envi et ne nous ferra rien payer ! Le refuge est éclairé par le soleil couchant dans l’axe de Nallo, on ne s’en lasse pas. Pour l’eau cette fois on pèche avec un seau au bout d’une corde directement dans la partie non gelée du torrent depuis le pont.
La nuit il fera -27°C et à 30km en contrebas de la vallée, à Nikkaluokta il fera -40°C, mais bien équipé et au sec, nuit sans problème.
Vistas – Sälka par Nallo – Dimanche 24 Mars 2008
Toujours le même temps de rêve, on bave d’envie devant l’entrée de la vallée de Nallo. Après la traversée du replat au pied du refuge, on passe un marchepied un peu raide pour accéder à la vallée en passant au nord du canyon central, de ce surplomb on aperçoit de l’autre coté un petit troupeau de rennes tranquillement couché dans la neige ou broutant sur des bosses malgré les nuits polaires ! On remonte une pente légère et régulière, le nez en l’air dans un paysage alpin de carte postale ! Faut dire que l’on est au nord du massif du Kebnekaise, le plus haut et grand de Suède.
Bien que la trace de moto-neige redescende dans le talweg, on reste sur le coté Nord, gardant une progression régulière de dénivelé. Assez vite on passe dans l’ombre des falaises abruptes, avec un petit courant d’air polaire qui descend des hauteurs dans la vallée, la gore-tex sur grosse polaire et sur-moufles sur gants deviennent nécessaires. Dans c’est espace polaire, on croisera une belle trace de glouton.
Après ce couloir glacial, l’arrivée au refuge de Nallo est fantastique : le refuge est planté dans l’axe (sud sud-ouest) du col du Reaiddavaggi, dans un cirque de hauts sommets, éclaboussé de soleil ; les lunettes de glacier ne sont pas de trop. C’est juste un peu bruyant car six équipages de chiens de traîneaux sont à la manœuvre pour retourner sur Salka.
Le refuge est petit, du même type que Vistas. Le gardien est jeune, pas très courant. En effet en Suède les gardiens de refuge ne reçoivent qu’un petit dédommagement, c’est presque du bénévolat. Conséquence les gardiens sont très souvent des personnes à la retraite ou parfois des étudiants sur de petites périodes. Ils se relaient souvent. Le jeune gardien nous montre un graphe où figure le record de durée d’un gardien à Nallo : 72 jours d’affilée ! Si par de belles journées et vacances scolaires comme maintenant, il peut rencontrer du monde, plus tôt dans la saison et par mauvais temps, c’est un exercice de grande solitude dans ce coin perdu. On note aussi que par sécurité, au niveau du refuge, la vallée est barrée par une succession de petits poteaux avec une flèche, permettant aux randonneurs dans le blizzard de ne pas rater cet abri salutaire.
On redémarre en direction du col, le petit canyon central oblige à faire un choix du coté sachant qu’il y a deux traces ; on choisit le sud malgré un départ raide, car la piste nous parait moins en devers, ce qui est important vis à vis des pulkas. Montée superbe plein soleil, dans un espace qui s’ouvre et des lignes de dunes de neige épaisse.
On franchit le col au-dessus du thalweg vers 1100m, ce qui sera notre plus haut point de tout ce raid. S’ouvre une grande vallée d’altitude quasi plate, avec pour la première fois cette sensation d’infini, car l’horizon plein soleil est à des dizaines de kilomètres dans un univers entièrement blanc ; après une heure de ski on a toujours la même vision, cela pourrait paraître ennuyant, c’est en fait profondément relaxant.
La descente sur Salka est très progressive, et seul le dernier kilomètre est en pente suffisante pour ne pas pousser. On passe coté Sud du petit canyon central (trace facile de moto-neige), mais le coté Nord est aussi utilisable, seul le centre doit être évité.
Salka est un gros refuge constitué de plusieurs bâtiments, très similaire à Alesjaure ; et il y a aussi un sauna dont on profitera. Bien que cela soit une thérapie de remise en forme reconnue pour les grands sportifs, je n’arriverai pas à franchir le portail du sauna pour, une fois bien échauffé à + de 40°C, pour aller me frotter à poil dans la neige par -25°C, même avec l’exemple de certains de mes co-équipiers… encore quelques barrières à tomber dans la tête ! Le soir de nouveau grand spectacle d’aurores boréales.
Cette journée là fut l’une des plus fabuleuse de notre parcours. Nous avons rencontré des personnes qui sont restés à Nallo, comme base idéale de parcours de rando aux alentours. Ce que fera la famille allemande qui nous suivait.
Salka – Hukejaure – Lundi 25 Mars 2008
Toujours ciel bleu, panorama immense de blancheur et grand froid, on y est maintenant parfaitement habitué.
Le parcours central de la Kungsleden remonte sur le flanc Est de cette grande vallée. Comme nous allons bifurquer vers l’Ouest environ quatre kilomètres plus loin, se pose la question de rester plutôt dans le thalweg. Ce n’est pas a priori décidable sur les cartes. En effet ces cartes au 1/100 000°, outre une échelle mal adaptée aux détails, sont automatiquement tracées à partir d’image satellites, avec lissage des formes et sans les retouches manuelles apportant les précisions type canyons ou barres rocheuses. Résultat : les montagnes apparaissent comme des ballons arrondis des Vosges, alors qu’il s’agit d’un pur paysage alpin de hautes montagnes souvent abruptes et les cours d’eau comme des ruisseaux sages de fond de vallée, alors qu’ils peuvent prendre n’importe quelles formes. Donc grosse méfiance quand vous tracez votre raid avec ces cartes, rechercher les infos complémentaires comme ici, c’est vital par mauvais temps. En l’occurrence, cette fois aucun problème, du refuge de Salka jusqu’à environ 300m avant la barrière de rennes qui coupe la vallée, on peut suivre le thalweg coté Ouest de la vallée. Mais attention le pont sur la carte indique la transformation rapide en un profond canyon rocheux (voir photo). On montera dont à flanc en devers pour éviter cette zone ; la barrière de rennes étant plus ou moins effondrée on passe sans problème. Le flanc Nord de la vallée du Cuhcavaggi nous paraissant un peu pentue avec risque de devers on préfère rejoindre de suite la piste tracée sur le flanc Sud. La carte peu détaillée laisse penser que le tracé est un quasi fond de vallée, il n’en est rien. Et c’est par une succession de montagnes russe impressionnantes que commence cette vallée : on passe à pied tellement ça grimpe, voir même dans les descentes On croise des motos-neige avec remorques qui s’y prendront à plusieurs passes pour franchir ces passages ! Bref le dénivelé prévu de l’étape sera largement à revoir !
Coté point de vue c’est toujours aussi magnifique que ce soit sur la vallée de Salka, ou sur celle-ci quand elle s’ouvre à partir du premier lac.
Cependant chaque lac est fermé par un petit verrou qu’il faut contourner sur le flanc Nord de la vallée, tant qu’à se faire du dénivelé et compte tenu du temps idéal, on en profite pour mettre à exécution un plan B prévu.
Au milieu du lac marqué à l’altitude 889, on monte Sud-ouest en direction de celui marqué 958. Cette fois plus de balisage, mais comme il y a une trace de moto-neige on la suit ; défaut au lieu d’une montée progressive à flanc on attaque pleine pente, donc à pied. Cependant très vite on atteint le replat qui même au col. Les traces de motos-neige disparaissent car il s’agit de motards ayant fait la fête de Pâques la veille, en témoigne un bout d’arbuste planté dans la neige avec des petites plumes multicolores !
Cette fois on est pur hors piste, pas la moindre trace. Le replat est barré de plusieurs grosses masses rocheuses qu’il faut contourner. On passe d’abord au Nord puis on se rabat vers le Sud, ce qui sera la bonne option pour franchir les cols. Après avoir pataugé un peu dans la profonde, on franchit un collet qui redescend en pente douce et sur neige portante sur ce joli lac enchâssé dans un cirque rocheux. Superbe ! Traversée le lac sur son coté Sud pour s’échapper à nouveau par un collet facile. L’imprécision des cartes créant pas mal d’incertitude, c’est avec une grande joie que l’on découvre le panorama suivant. De nouveau cette fabuleuse sensation d’infini : c’est immense de blancheur, une longue descente en douceur sur un lac qui se perd dans un horizon rejeté très loin de petites montagnes rocheuses. Après une heure de ski, en se retournant, on a l’impression que le collet est toujours à portée de main, et que le prochain passage est toujours au bout du monde : impressionnant ! Ici pas de neige profonde, l’espace a été balayé par les vents et c’est sur vaguelettes durcies, gardant à peine nos traces que nous glissons facile.
Le lac Raktasjavri se termine sur un petit défilé d’où part son torrent. Cette fois pas de canyon, on peut tirer sur le grand lac de Kaisejaure en restant dans le thalweg. Nouvelle ouverture, nouvelle perspective, soleil descendant, c’est un régal. A l’approche du lac, ne pas suivre le parcours d’été en pointillé, c’est une succession de butte plus ou moins rocheuses. Nous traversons l’extrémité Nord-est du lac en direction du parc de rennes (Rengarde). Sur le lac les vaguelettes se sont transformées en grosses écailles sur lesquelles nos pulkas tapent et la fatigue commence à se sentir dans les jambes. Au parc de rennes, on remonte plein Nord et rejoignons rapidement la piste balisée de moto-neige. Le refuge est planqué au-dessus un petit dédale rocheux, bien suivre le balisage.
C’est le refuge du bout du monde, à quelques kilomètres de la frontière Norvégienne. Un seul bâtiment habitable du même type que Nallo ou Vistas. Outre le vieux gardien, sa femme et leur petit chien, il y a un randonneur Norvégien, qui avec un petit sac à dos, des vieux et grands skis à farter, trace 30 à 40 km par étape de Ritsem à Narvic ! On apprendra par la suite que le gardien est très célèbre chez les randonneurs Suédois, c’est un Sami qui fait ce travail depuis très longtemps.
La particularité du refuge est une vraie hutte Sami utilisable, dans laquelle deux de nos camarades passerons la nuit. Après les grands espace moutonné de blanc, les vallées encaissées, ici règne un dédale de buttes ou petites crêtes rocheuses et un grand sentiment d’isolement. Un coin idéal pour s’évader complètement de l’agitation de nos contrées.
Hukejaure – Sitasjaure – Mardi 26 Mars 2008
Encore un magnifique lever de soleil glacial -23°C, sur le paysage chaotique de Hukejaure. Cependant quand nous partons 2H plus tard, un petit vent se renforce et tourne à l’Ouest, la température remonte et un mince front de nuage barre l’horizon coté Norvège. Changement de temps annoncé ; en effet tous les matins chaque gardien de refuge annonce la météo du jour et les recommandations d’usage. On est en situation connue : en général les prévisions ne sont pas plus fiable qu’en France…
Passé le petit dédale du départ on file encore grand soleil et plein Sud-ouest à travers le Kaisejaure, suivi d’une longue vallée peu pentue. On découvre sur le terrain qu’il est inutile de rester dans la trace balisée et ondulée des motos-neige, traçage direct dans l’axe central de la vallée jusqu’au village d’été Sami au bout du Guojujavri. Hors piste facile sur ces lacs et rivières gelées et soufflées. Peu à peu une brume nuageuse nous rattrape par l’Ouest.
Le village d’été est composé de maison en bois juste posées sur quelques rochers ou moellons, mais haubanées solidement par des câbles métalliques ; çà et là des squelettes de tentes ou de huttes, et un sauna en forme de très grand tonneau en bois.
Par la suite la pente augmentant, la rivière se creuse et l’on reste sur la trace balisée. Après le passage de la grande barrière de rennes et contrairement au traçage sur la carte, la piste s’éloigne de la rivière et reste longtemps à niveau, avant de plonger fortement sur Sitasjaure. Fini le beau temps et les paysages de virginale blancheur, il commence à neiger un peu et le panorama perceptible est largement barré par une très grande ligne à haute tension reliant Suède à Norvège ! On rejoint aisément le hameau en extrémité de cet immense lac ; la seule surprise est le barrage artificiel, apparemment conséquent sur la carte, il se révèle sous forme d’un petit arc de béton de 20 m de long, émergent à peine du sol rocheux ! Le refuge étant juste au bout sur la gauche.
Bien que plusieurs paires de ski soient affichées, nous ne rencontrons que le très discret gardien. Ce parcours étant court et facile, on a le temps de visiter le hameau. Seule son extrémité comporte un aménagement important de tri et rassemblement de rennes ; le reste est un lieu de villégiature secondaire de printemps et d’été, facilement accessible par la route depuis Ritsem. Deux maisons semblent habitées ce soir là. Malgré le lever du mauvais temps en début de soirée, pas de festival boréal !
Variante possible si l’on veut allonger cette étape pour réduire celle du lendemain (par ex : pour prendre le bus à temps à Ritsem) : à la barrière de rennes (Förfallen) continuer au Sud-ouest, puis descendre dans la large vallée pour atteindre le début du lac Autojaure et camper. Les arbustes font leur apparition, mais ç’est très clairsemé.
2 ème partie - Cliquez sur la carte pour l'agrandir
Sitasjaure - Ritsem – Saltoluokta – Mercredi 27 Mars 2008
Devant prendre le bus à Ritsem à 15H30 et avec quelques incertitudes météo, on part 1H plus tôt. Toujours chanceux, le beau temps est de retour, aux résidus nuageux près, et toujours un bon froid entretenu par un peu de vent. La piste balisée c’est une route, disons une autoroute à motos-neige, bordée d’un coté d’une ligne électrique et de celle de haute tension de l’autre coté ; pas très attractif bien que le reste du paysage mérite le détour avec la réapparition d’une végétation arborée dans une belle vallée. L’envie du hors piste nous reprend rapidement, on fera un compromis pour ne pas mettre notre chrono en péril et au lieu de descendre dans la fond de vallée au bout de 2 km, on rejoindra le début du lac Autojaure.
Beaucoup de vague mais c’est en partie tracé ; plus de route et poteau, plein soleil avec une vue superbe sur la grande vallée à l’Est (Suorgge), dont les sommets sont encore bien pris dans les nuages de la veille, tantôt gris noir, tantôt étincelants de lumière, c’est le premier grand plaisir du jour. Au bout, après hésitation, on choisit la facilité en reprenant la route, mais après coup on verra que l’on avait le temps de tracer en hors piste jusqu’au col.
Si la civilisation commence à se rappeler à notre bon souvenir : autoroute à motos de 100m de large, ligne électrique, collection de cannettes écrasées, un deuxième grand moment se profile à l’horizon. Le panorama s’ouvre sur l’immense lac d’Akkajaure, l’entrée de Padjelanta et le formidable bloc en couronne du massif glaciaire de l’Akka. Avec une légère brume résiduelle, le paysage baigne dans une lumière intense et diffuse ; les lunettes de glaciers sont à la fête et les appareils photo à la peine. On avance les yeux dévorants ce fantastique l’horizon, la large route plonge au travers de la forêt vers Ristem et le lac, dérangé cependant par les cohortes de motos-neige surtout des jeunes qui vont et viennent. A Ritsem on traverse le camping plein de caravanes presque toutes occupées, affichant une belle collection de ces bruyants engins.
Arrivés largement en avance, on a le temps de faire un peu de ravitaillement, dorer au soleil et boire un coup…Le bus nous fait payer les pulkas (environ 5€ l’une) ; pas moyen de dormir, outre la route en zigzag, le paysage de plus en plus dégagé ne nous lasse pas : lignes de crêtes de l’Akka, du Sarek et du Storafjalett, enfilade de lac gelés, d’autant que l’année dernière c’est sous la pluie que nous avions tenté de le découvrir.
Descente tardive vers 17H30 à Kebnats, le temps de descendre les pulkas au hayon et de se re-équiper, c’est au soleil couché que l’on attaque. Pas de problème dis je, c’est à 2 km en face. Raté : force panneaux d’avertissement et double balisage serré, nous constatons que le lac n’est traversable qu’à un seul endroit à plus d’un km Nord-Ouest ; on fera donc 4 km. Après la chaleur du bus, ce redémarrage chapeau de roue dans le froid du soir tombant laisse des traces de fatigue. On verra même un gros troupeau de rennes guidé par deux motos-neige traverser sagement pile entre les deux files de piquets !
Saltoluokta, c’est la grosse station montagne du coin, c'est-à-dire 5 à 6 refuges et autres utilitaires autour d’un gros bâtiment en bois d’un étage. On craque et décidons de manger au restaurant. Ambiance bon chic bon genre, c’est bon, fin, cher et maigre pour un randonneur, tellement que l’on demande du rab, ce qui déstabilise quelque peu notre charmante serveuse ! Randonneurs affamés rabattez vous plutôt sur le magasin bien achalandé et le petit déjeuné au buffet bien garni.
Coté logement, on demande un collectif pour le prix minimaliste et atterrissons dans un pavillon d’été inadapté à l’hiver : pas de place pour le séchage, pas de poêle à bois, pas d’eau ni seau à neige… Au pavillon dédié, les sauna et douches sont en panne…
Mais quand même deux grands moments :
Dans notre chambre collective, deux autres randonneurs, après les politesses d’usage, surprise on se reconnaît : ce sont deux allemands que nous avions croisé en plein milieu de la traversée du Padjelanta l’année dernière. Bloqués 3 jours par la tempête ils faisaient demi-tour et nous ont accompagné sur deux étapes. Ce soir ils finissaient le tour complet du Sarek, trop sympa !
Le deuxième c’est le festival d’aurores boréales ; ce soir elles se donnent à fond : danse diabolique de drapés verts et rouge or se développant plus vite que des étoiles filantes ; fascinant !
Saltoluokta – Sitojaure – Jeudi 28 Mars 2008
Grand beau temps froid. Après dernières salutations à nos copains allemands, on attaque une montée raide et tortueuse en forêt avec parfois passage à pied. Rapidement on émerge et si on s’arrête régulièrement pour souffler dans cette pente toujours forte, c’est surtout pour profiter du paysage, une nouvelle fois royal avec la grande vallée de lacs en enfilade jusqu’à Ritsem. La montée abrupte s’arrondit vite et sur près de 15km de terrain presque sans dénivelé et sans difficulté, la piste ondule tout droit dans une grande combe d’altitude. Après chaque petit relief, elle se perd au loin, où les horizons noyés de lumière ne sont barrés d’aucune crête importante, et c’est ici que l’on ressentira le plus cette impression d’infinité et de relaxation mentale. La seule falaise, celle du Sjäksjo, affiche de gigantesque cascade de glace, dont l’épaisseur parait dépasser la dizaine de mètre.
La trace suit le flanc Est de la combe, la rivière au centre n’est guère praticable car elle serpente beaucoup et souvent dans un vallon encaissé. Au tiers du parcours, insolite dans une trace de tout juste un mètre de large, nous croisons un suédois à fond de train en skating, relié à une fine pulka tirée par un petit chien noir ! Salut aussi franc que fugitif, laissant l’impression d’avoir rêvé de cette brève rencontre…
Vers le milieu, au moment du déjeuner, le vent se lève brusquement, et malgré le soleil et vu la température c’est intenable pour s’arrêter. La carte indique un abri « Autsutjvagge », il y est pile poil à 100m à l’Ouest et un peu en contrebas de la piste, et c’est un vrai refuge ! Très petit avec une seule pièce, un Jötul, du bois et quelques cartouches de gaz Primus laissées par des randonneurs : impeccable ! A peine installés nous sommes rejoins par trois autres personnes : la femme et les deux grandes filles du martien en skating ! En fait il s’entraîne pour une compétition à Gallivare et en a déjà fait chez nous. Les filles se moquent un peu de leur père, car après plusieurs jours passés à pêcher à Sitojaure, il n’a pris que quelques poissons longs comme la main… Elles racontent qu’ici l’été, le vent est très apprécié car il chasse les moustiques. Je note que, par réflexe, à peine arrivées elles allument le Jötul, et se posent sur des petites peaux de rennes qu’elles gardent à portée de main. Rencontre courte mais très sympa avec cette famille de Göteborg.
Deux kilomètre plus loin, le vent tombé, on croise trois jeunes randonneurs en pulka. Un norvégien, une française et une allemande. Traçant chacun en solitaire depuis quelques semaines, ils se rencontrés récemment et finissent ensemble leur raid à Saltoluokta. Bien entendu la française est de notre région Grenobloise, et après quelques minutes de discussion on se découvre des connaissances communes…Elle nous dit que nous (un groupe de français) sommes attendus à Sitojaure ; ça nous laisse perplexe vu que sur nous cinq deux sont polonais.
Quand réapparaît la végétation arborée nous attaquons une descente facile sur Sitojaure. Le refuge est juste à droite du chemin au débouché sur le lac. Grand refuge avec une vaste salle commune bien équipée et des chambres dortoir indépendantes. Le fameux groupe de français est en fait une dizaine de personnes du CAF, et bien entendu toujours de notre région Grenobloise. Les quelques autres suédois doivent se sentir un peu isolé au milieu de cette invasion française. Bonne ambiance. La dernière surprise, c’est le gardien : ancien colonel à la retraite il parle un peu le français car il a marié sa fille à un français, et deviné où ? Près de Grenoble à quelques kilomètres de mon patelin ! Très sympa on passera du temps à discuter, ainsi qu’avec un couple de suédois. On méditera longtemps sur cette coïncidence qui aura rassemblé autant de rencontres en 24H depuis Saltoluokta…
Arrivé pas tard, on décide planter la tente au bord du lac. La nuit tombée, malgré l’air glacial on a du mal à décrocher nos yeux de la voûte étoilée, les aurores boréales ayant repris, cette fois en d’évanescents nuages, sous toutes les formes du fuseau à la couronne, ils apparaissent et s’évanouissent comme des flash, pendant que de fantasques lueurs soulignent la silhouette des conifères au Nord ! Il fera -27°C au petit matin.
Sitojaure - Aktse – Vendredi 29 Mars 2008
Le gardien nous annonce un gros changement de temps en perspective dans 24H, mais pour l’instant le soleil est encore radieux dans ce matin polaire. Après un chaleureux au revoir, nous reprenons par la traversée du lac plein Sud ; peu après le début de la forêt clairsemée la piste se divise, on continue au Sud pour gravir le Njunjes. On note que la neige est ici plus épaisse que dans le nord de la Kungleden. On s’oriente au Sud-ouest pour au sortir de la forêt se retrouver au pied du mur de la montée ; et c’est bien un mur ! On montera arc-bouté sur nos peaux de phoque, pour contrer l’envie persistante de nos pulkas de redescendre. Ça tire salement sur nos tendons d’Achille, qui au neuvième jour de raid protestent un peu.
Par contre, coté point de vue on est de nouveau gagnant. En bordure de massif, on admire à l’Est et Sud-est des immenses étendues à peine ondulées de lacs et forêts entrelacés. Arrêt au col pour manger et décider. Nos amis allemands nous ont conseillé d’y poser les pulkas et de tirer à niveau vers l’Ouest pour atteindre et gravir par le Nord le Skierfe, promontoire rocheux très connu surplombant le delta de la célèbre vallée du Rapadallen. Il faut compter un détour de près de 15km, aussi nous sommes trois à préférer une étape courte pour se reposer, nos deux amis polonais tentent la virée.
Si la descente sur Aktse vaut son pesant panoramique, c’est une plongée pour ski de piste qui s’offre à nous. Et c’est bloqué sur nos jambes en chasse neige que l’on attaque le plongeon. On s’arrête avant la forêt pour le point de vue sur le fabuleux delta du Rapadalen. Après un début de forêt où l’essentiel est de ne pas prendre de vitesse, sur les conseils des français du caf on déchausse. Il faut dire que outre la pente raide, la piste devient étroite et très encaissée dans plus d’un mètre de neige, et que des motos-neige circulent. Fin d’une descente grand plaisir dans une forêt ensoleillée et croulant sous la neige. Peu après avoir retrouver un terrain presque plat, nous prenons à droite sur une large piste, la gauche conduisant au lac direction Parte. On débouche très vite dans un grand espace où se répartissent plusieurs maisons secondaires ; le refuge est à droite tout en haut en lisière de forêt. Deux grands bâtiments pour se loger, un récent du type de celui de Sitojaure, celui dans lequel on se pose est du type Vistas-Nallo.
Fin d’après-midi repos; on en profite pour admirer cette grande entrée sur le Sarek, planter la tente pour deux jours et refaire un dernier ravitaillement dans le petit magasin qui solde les denrées périmées depuis quelques mois, et que tient une grand-mère gardienne et son chien. Particularité pour l’eau, on ne la prend pas dans le lac trop loin, mais dans un torrent complètement en contrebas sur le chemin d’arrivée, vive la remontée… Nos amis nous rejoignent en début de soirée, fatigués mais entiers. Ils ne sont pas monté au sommet du Skierfe trop pentu, mais se sont fait le panoramique depuis le col juste après.
Rapadalen – Samedi 30 Mars 2008
Nuit chaude vers -11°C au début, et douceur vers -°6C le matin. Ça y est le temps à pris son virage, c’est couvert et il a un peu neigé. Mais pas question de rester au chaud, c’est la journée sans pulka ; au programme 30km de visite dans l’embouchure du Rapadalen.
Pas de balisage, rapidement on gagne le lac vers l’Ouest dans les traces de motos-neige et celle d’un jeune randonneur suédois qui involontairement nous fait l’ouverture. Les traces de motos-neige s’arrêtent définitivement au pied du Nammàsj qui marque l’entrée du parc national du Sarek. Le delta est un dédale de bras de rivières et de lacs, on suit certains, puis on change en coupant au travers de petites forêts marécageuses. Les points de repère sont le Skierfe sur le flanc Nord et dans l’axe le Nammàsj qui ressemble au profil du Mont Aiguille en miniature. Quelques rayons de soleil percent parfois, et libéré des pulkas et des peaux de phoque, on trace rapidement, se permettant même au retour des sprints.
A partir du Nammàsj la piste tracé par les randonneurs quitte la rivière qui se transforme en torrent à la portance peu sûr, elle continue avec différentes variantes sur la coté Sud dans une forêt plus ou moins dense. La maison marquée Litnokstugan est privée et fermée, on descend juste en dessous dans le lit de la rivière rejoindre le jeune randonneur Norvégien, qui comme nous est juste parti faire une virée aller-retour dans cette vallée. Il commence à neiger régulièrement ; trois d’entre nous préfère rentrer, nous continuons à deux à explorer la piste qui remonte la rivière. Aux sens de ses hésitations on déduit qu’il s’agit d’une trace de randonneurs descendant du Sarek, voulant emprunter les couloirs de la rivière plutôt que la forêt. Cela se révèle un risque, car l’eau réapparaît souvent. Ainsi dans la zone marquée Ràhpaädno le bras nord de rivière est en eaux libres sur sa moitié de longueur aval.
Au retour après le Nammàsj on prend une petite trace en bordure de lisière nord ; dans ce quasi hors piste, avec une neige « réchauffée » mes Fisher-crown sont à la fête, très bonne glisse et très bonne accroche, et le plaisir d’une allure de course.
Pourquoi une journée en boucle libre free-pulka ? Pas simplement pour le plaisir, en fait les raids des années précédentes nous ont appris que la météo peut aisément passer à la vraie et violente tempête, vous enfermant au moins une journée dans un refuge ou sous la tente ; aussi j’intègre à chaque fois une journée de marge.
Aktse - Partestugan – Dimanche 31 Mars 2008
Après tous ces jours de bonheur météorologique, il fallait bien une étape galère, ne serait ce que pour les souvenirs au coin du feu. Donc il est écrit que ce sera celle-ci !
Pourtant elle se présentait pas mal : certes un peu longue : 24km, mais ¾ de lac et 100m de montée seulement…
Il bien neigé cette nuit, la tente ressemble à un igloo. Il fait seulement -3°C, plafond très bas, il neige encore, on craint de récupérer la pluie dans la journée.
Belle descente, puis on tire par le gros chemin Sud-est jusqu’au lac, mais là premier gros problème. Les skis bottent à tel point qu’il est impossible d’avancer. La neige neuve est en pleine transformation entre 0° et -1°C. Heureuse initiative de notre co-équipière qui a sur elle un fart argenté, après une première enduction légère dans la zone écailles, on repart et traversons le lac Lajtaure ; mais la glisse est difficile ça colle pour un oui ou pour non. La montée dans la forêt se passe sans problème, sans doute parce orientée Nord, la neige est un poil plus froide. Impossible de redescendre, ça re-botte à mort, même les pulkas. On re-farte à 100% même les écailles. Ouf ça marche mais coté timing on est pas en avance.
Il neige mouillé quand on attaque le Tjakjajaure. Début bizarre, une succession de creux et de bosses rocheuse, de vraies petites montagnes russes ; on croit être juste en bordure, mais on bout d’un moment croisant des corniches dangereuses de glace, nous constatons que nous sommes bien en plein milieu du lac. Le terrain est difficile et dangereux, impossible de quitter le balisage fait de petits piquets provisoires. L’explication est que ce lac est le plus amont d’une succession de réservoirs naturels alimentant un barrage et usine hydro-électrique, et en ce moment il est tout simplement vidé !! On comprend mieux aussi pourquoi la piste serpente ensuite sur la berge et ne profite pas de l’espace libre du lac. La neige est maintenant mouillée et n’adhère plus, mais ne glisse pas très bien. A l’arrêt pour déjeuner, dans l’humidité froide on ne traîne pas.
Le petit lac Rittack est utilisable sur son bord, le temps se dégage un peu, ça va mieux. On rencontrera un groupe sympa de six jeunes hollandais et hollandaises parti de Ritsem, qui s’apprête à passer la nuit sous la tente, et ensuite randonner dans le Rapadalen.
Pas d’autre difficulté pour atteindre le refuge, sauf le détour final, car alors que le GPS indique le refuge à 300m, il faut contourner une barre forestière et revenir en arrière. On aura fait 27 km en tout. On arrive tard et content de se reposer.
Plusieurs bâtiments, notre dortoir est du type pas pratique comme à Sitasjaure. On est « accueillit » par un petit et sonore chien roux typique du nord et par son maître un jeune gardien, aux questions très brèves et réponses encore plus courtes : yep ! Une impression de déjà vu. Le soir on arrivera quand même à nouer la conversation. Euréka, il était au refuge de Njunjes l’année dernière, je l’avais rencontré sur le pont suspendu pour lui dire que contrairement à ce que nos copains allemands avaient pu lui dire, on dormirait plus loin sous la tente. L’été il est guide de montagne et de chasse, notamment à l’oie noire, pour les touristes. L’hiver il tue le temps en faisant gardien de refuge…
Partestugan – Kvikjokk – Lundi 1er Avril 2008
Petit pincement au cœur en se levant car c’est la dernière étape et aussi parce qu’il vente et pleut comme « renne qui pisse ».
On s’échappe par le lac, barricadé dans nos goretex. Heureusement au premiers pas, s’il vente encore, la pluie a cessé. Passé la forêt après le Sjabtjakjavvre, le plafond de nuage se relève, le vent commence à tomber et des leurs d’espoir pointent à l’horizon. Au milieu du Stuordàhtà rencontre avec un jeune anglais en tee-shirt portant un énorme sac à dos kaki et un couteau de trappeur à la ceinture ; parti une semaine plus au Sud, il compte atteindre le Cap Nord ; d’allure mi-militaire, mi-trappeur solitaire, il a la tête du gars qui doute pas de son objectif…
Au bout du lac on trouvera notre premier carré de soleil pour une pause. Progression facile, par un large chemin dans une belle forêt enneigée comme sur une carte postale. On est partagé entre l’impatience et l’émotion du but final à atteindre, et une nostalgie de ne pas se presser pour rester encore ensemble dans ces montagnes. La descente s’accélère mais sans risque, un dernier plaisir de glisse. Le chemin se sépare, les deux indiquent Kvikkjokk, on continue tout droit pour déboucher juste au-dessus du gros centre refuge du STF. Entre temps nous avons posé devant une pancarte marquant le départ de la Kungsleden. Et le soleil fait son apparition sur Kvikkjokk, final en beauté.
Le programme était d’arriver assez tôt à Kivkkjokk pour essayer de trouver au bar-restau-musée-station-moto quelqu’un de sympa pour emmener trois d’entre nous vers Jokkmokk à 120Km. En effet prévu à l’origine de finir le Dimanche où un bus part vers 17H, nous avons dû décaler d’un jour pour une question de disponibilité, et en semaine les bus c’est à 5H du matin ! Et on veut passer la nuit dans un gîte rural sympa, la ferme de rennes de Katarina Rassa à 15 km avant Jokkmokk.
A peine arrivé vers 14H, notre co-équipière au feeling d’enfer, part en avance dans le village, y découvre un bus privé, puis son chauffeur, qui après quelques hésitations accepte de nous emmener à condition de partir sur le champ ! On saute sur l’occase, mais sans avoir le temps de faire correctement nos adieux à nos amis polonais autour d’un verre et de photographier cette superbe église tout en bois. Le chauffeur sympa nous fait la conversation ; il venait d’emmener un groupe de suédois du secteur de Luléa venus faire un séjour montagne. Le voyage se fait au grand retour du soleil, les montagnes laissent place à la pénéplaine de Laponie, le chauffeur nous explique que les grosses traces solitaires en bordure de forêt sont celles des élans…
La mémoire me jouant des tours on rate le gîte et descendons quelques kilomètres plus loin. Pas de problème, Katarina jointe au téléphone par le chauffeur vient illico nous chercher, accueil très chaleureux.
On a tout le temps de se prendre une vraie douche, de nettoyer quelques sous-vêtements afin de ne pas jeter la panique dans les bus et les avions, de sécher notre matériel et de se préparer pour un repas gargantuesque à base de viande de rennes, de légumes frais, vin californien, etc… on le mérite bien !
Ambiance bruyante au couché, car nous partageons le gîte avec un groupe de motards finlandais affichant leurs signes caricaturaux : blousons fourrés aux symboles spécifiques, montagne de cannettes de bière, motos-neige hurlantes…Ce soir ils s’engagent dans une conversation très animée avec nos hôtes sur les mérites comparatifs de la langue Sami entre ces deux pays… On devra faire un rappel de notre existence. Le lendemain le grand gaillard finlandais qui menait cette bruyante troupe nous a présenté platement leurs excuses.
Jokkmokk – Alvsbyn - Mardi 2 Avril 2008
Grasse matinée et petit déjeuner dans le profil du dîner. Sous un « chaud » soleil Katarina nous fait visiter un petit troupeau d’une vingtaine de rennes qui attendent d’être marqué ou vendus. Le marquage (taille des oreilles) ne peut être fait l’hiver car la blessure ne guérit pas. Les formes de taille sont spécifiques à chaque famille/clan d’origine avec une variante par enfant. Ainsi son mari et elle ont deux marquages différents.
Les rennes sont très craintifs et se laisse difficilement approcher ; une tentative d’en attraper un par une patte avec une canne/lasso échoue lamentablement, transformant l’enclos en corrida où les rennes sortiront grand vainqueur. Le gros du troupeau (500 à 600 bêtes) est en pâture beaucoup plus loin dans la nature. Ce chiffre magique est commun à toutes les familles, car il donne droit à un petit salaire de la part de l’état suédois…Pendant ce temps un élan que l’on apercevra un peu, rôde autour de la ferme cherchant pitance.
Vers midi, son frère nous amène à la station de bus de Jokkmokk d’où part le bus pour Alvsbyn à 15H10. Cette heure correspond à la sortie des écoles en Suède. Et là chouette on retrouve nos deux camarades polonais en train d’attendre un bus pour retourner sur Kiruna par Gallivare. Camping improvisé, et cafés au bar pâtisserie. Cette fois c’est un au revoir sympa dans les bonnes formes.
Le chauffeur ne nous fait rien payer pour les pulkas ; ça doit être à la tête du client ??
Le bus est plein de collégiens qui se marrent en regardant nos têtes de troll de montagne. Il fait une chaleur d’enfer dans ce bus, pendant que défile le paysage d’hiver éclaboussé de soleil.
Alvsbyn 18H19, la gare est transformée en bar d’attente, le train Narvik-Stockholm ressemble aux vieux trains français des années 60/70 à compartiments où basculent les banquettes en couchettes. La jeune chef de train nous fait une vague remarque sur nos pulkas qui sont pas sensées voyager avec nous, mais nous fait pas payer de supplément ; on les casera difficilement en position verticale dans un « placard » en bout de wagon ; elle nous trouve un compartiment couchette pour nous trois seulement car le train est loin d’être plein.
Voyage retour : Mercredi 3 Avril 2008
On arrive à Stockholm à 8H du matin, après le défilé des paysages tristounets sans neige, puis de la banlieue grise. Heure de rush dans la gare, heureusement on trouve des grands casiers consignes verticaux où se rangeront les pulkas et les skis. Débarrassés de ces précieux compagnons de montagne, mais vrais fardeaux en ville, on a le temps de se faire une petite balade dans le centre-ville et un bon petit déjeuner pas cher du tout à la « maison du café ».
A 10H Train express pour Arlanda, c’est cher mais rapide (20mn). A l’enregistrement ça se complique, comme nous l’avait prédit l’hôtesse de St Exupéry (et contrairement à l’année dernière), ils nous collent un supplément pour les pulkas. On règle ça à la caisse centrale, après négociation on échappe de peu au tarif max (40€) pour quand même 20€ par pulka ! Tout ça bouffe du temps, on a juste le temps pour embarquer au vol de 12H45 pour Francfort.
Francfort c’est relativement bondé, moins sympa que Münich. Vol de 17H05 pour St Exupéry.
18H30 à St Exupéry, c’est l’attente inquiète des bagages après que tous les autres passagers aient récupéré leurs biens et disparu. Ouf fausse alerte nos bagages sont livrés en main propre par une porte réservée aux bagages spéciaux.
Voilà fini et en attendant la prochaine fois, on garde dans nos têtes une foule d’images précieuses.
Informations complémentaires :
Budget par personne :
Environ 1200€ dont 500€ de déplacement (bus, trains, avions)
Prendre les billets d’avion au plus tard 4 mois à l’avance pour les prix les plus bas
Bus : 1 sek (couronne Suédoise) au km
1 euros ~ 9.35 sek
Liens web utiles :
Site du tourisme suédois (STF) : www.stfturist.se
Bus de la région du Norrbotten : http://www.ltnbd.se
Train Véolia en Suède - Cliquez sur "Boka Tag" (Horaire et réservation de train en anglais)
Auberge de jeunesse de Kiruna : www.yellowhouse.nu
Gîte rural de Katarina Rassa
Maisons du tourisme :
www.turism.jokkmokk.se/en.aspx
www.lappland.se/scripts/fr/index.asp?stat=log (en français !)