Dans les glaces Volcaniques France > Massif Central

A-Dirac

A-Dirac

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  • author: A-Dirac

Durée : 2 à 4 jours

Difficulté : Moyenne

Pulka : non accessible

Le Parc des Volcans est situé au cœur de l'Auvergne. Fondé fin 1977, son trentième anniversaire a été célébré durant l’hiver 2007-2008. C’est pour cette occasion que j’avais projeté d’en réaliser la traversée hivernale, intégrale, en autonomie avec chien.

Le faible enneigement de cette saison ne m’a pas permis de concrétiser ce projet que j’ai alors continué de faire mûrir, en particulier en entraînant ma jeune chienne à la traction. Fin 2008, début 2009, « notre » rêve se réalisait.

L’idée maîtresse est de traverser les 200 km du parc du Nord au Sud en passant par les 4 massifs volcaniques Monts Dômes, Monts Dore, Cézallier, Mont du Cantal et par le plateau granitique de l’Artense. L’altitude modeste impose de suivre au plus près la ligne reliant les sommets pour bénéficier de la neige. En cas de passage déneigé (traversée de village ou route) le traîneau du chien est démontable et son chargement, un sac à dos, « facile » à porter en ventral.

Pour le mode de progression, le choix est cornélien ; je renonce au ski de randonnée nordique et décide de ne prendre que raquettes et crampons. Nos 45 Kg de matériel sont partagés équitablement : 20 pour la chienne et 25 pour moi.

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L’itinéraire a été soigneusement préparé avec les cartes IGN au 1/25000 : 2531 ET (Chaîne des Puys), 2432 ET (Sancy), 2534 OT (Cézallier), 2435 OT (Cantal). Il est découpé en 10 étapes qui privilégient les couchages sur les sommets pour bénéficier du spectacle des couchers et levers de soleil ; mais c’est le vent qui décidera in fine de l’implantation des camps. Les portions potentiellement avalancheuses ont été exclues. Boussole et altimètre complètent l’équipement d’orientation indispensable dans ces grands espaces qui peuvent se révéler comme des pièges en cas de mauvaise visibilité (brouillard, tempête de neige).

Le Peloton de Gendarmerie de Montagne du Mont Dore est informé de mon itinéraire. Ces précautions ne doivent pas conduire à exagérer l’engagement de ce parcours. En fait, nous ne serons jamais à plus de 3 heures d’un village. L’engagement en haute montagne, surtout en hiver, est bien plus important.

Jour 1 Col de la Nugère (875m) - Le Grand Suchet (1231m) - 18 km
06 h. La chienne excitée comme une puce enfile son harnais et démarre, attelée à son traîneau. Dans le halo lumineux de ma frontale, au pas de course qu’elle m’impose, je distingue mal les reliefs du sol. A ce rythme, c’est la transpiration assurée dans dix minutes, mais je sais d’expérience qu’elle va se calmer rapidement et m’abstiens de freiner ses ardeurs. Hier soir les pattes ont été préparées. Soins manucures et pédicures pour la princesse ; les poils inter coussinets ont été coupés et les coussinets enduits de cire pour les protéger de l’abrasion due à la glace.

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Peu de neige au sol sous ce couvert végétal. Je suis le GR441 en pente douce, prenant garde de ne pas rater la bifurcation vers le Puy de Jumes, le balisage étant peu visible de nuit. L’alti indique 1020 m, nous sommes proches. Une vague trace s’élève à gauche dans la neige. C’est raide et la chienne adopte un rythme plus raisonnable. La sortie du couvert se fait dans la beauté de l’enchaînement des puys avec des rayons rasants faisant miroiter les milliers de cristaux de glace que le givre a déposé sur les arbustes. Au Puy de la Coquille (1152 m) séance photos sur le jour levant, avec au loin notre objectif de ce soir : Le Puy de Dôme (1 465 m). Sous mes yeux, la Chaîne des Puys aligne ses quelques 90 volcans sur la faille qui leur a donné naissance. Cette chaîne s’étire ainsi du Nord au Sud pendant plus de 45 km.

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Toujours sur le GR, nous contournons le Puy Chopine par l’W pour gagner, hors GR, le Puy des Gouttes (1134m) avec son vaste panorama et au premier plan, le cratère ouvert de Lantégy. Après une descente un peu raide et la traversée de la route du col des Goules, Vulcania nous accueille dans une atmosphère fantomatique (givre, brume et parkings déserts). Par un chemin forestier plus glacé que neigeux nous regagnons le GR441. Le Puy de Cômes (1253 m) avec ses cratères emboîtés est délaissé car l’objectif de coucher au sommet du Puy de Dôme, ce soir, devient de plus en plus irréaliste. Hors GR, je vise le Grand Suchet pour y installer le camp. Pas de vent, la nuit sera bonne. Les couleurs chaudes du crépuscule commencent à envahir l’horizon, et la chienne se montre pressante pour réclamer son dîner.

Jour 2 Le Grand Suchet (1231m) – Puy de Lassolas (1187m) - 15 km
Départ tôt. Je ne veux pas rater le lever de soleil depuis le sommet du Puy de Dôme. Le camp est plié rapidement, nous déjeunerons au sommet, au soleil si le brouillard se dissipe. Ma frontale diffuse sa lumière dans un brouillard givrant relativement dense. Le thermomètre indique -9°C. L’itinéraire est évident, cap au Sud. Petite descente vers un collus puis montée au Petit Suchet avant une belle descente où je dois freiner le traîneau pour qu’il ne heurte pas les pattes de la chienne. La neige est parfaite et ce serait un vrai plaisir à ski. Malgré mes ordres répétés, nous descendons dans une course effrénée, corde ultra tendue. Je pense qu’elle se fait plaisir ! La lumière orangée de l’antenne du sommet nous guide vers la base du puy où nous attaquons le flanc Nord avec une pente qui se redresse progressivement. Je dois aider la chienne à tirer avant d’arriver à la route qui conduit au sommet.

Après avoir franchi le petit muret de l’autre côté de la route, les difficultés commencent. C’est raide, verglacé, étroit avec des arbustes qui gênent la progression. J’hésite à mettre les crampons, et décide d’essayer sans, pour ne pas perdre de temps. Tirer le traîneau à deux sur ce terrain s’avère inconfortable, nous nous gênons mutuellement, aussi je décide de libérer la chienne et de faire l’animal de trait. Je souris intérieurement en réalisant ce que notre situation a de cocasse. La chienne qui court partout en toute liberté, suivant des traces d’animaux et s’arrêtant, assise sur un promontoire, à m’attendre et à me regarder s’échiner avec les 45 kg de matériel dans cette pente glissante ! Alors que la pente diminue, la brume se dissipe, et je commence à voir les installations du sommet baignées dans les premiers rayons du soleil.

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Ambiance irréelle du vaste parking et du restaurant déserts, prisonniers de la neige et des glaces. Entre contemplation, petit déjeuner et photos, nous passons ainsi près d’une heure au sommet avant d’entreprendre la descente par le chemin des muletiers (GR441). A ski, ce serait un peu raide, mais faisable. Notre attelage reprend sa progression en direction du col de Ceyssat (1078m) avec la chienne qui tire et moi qui freine. C’est la cordée du siècle !

Au col, toujours pas âme qui vive, l’itinéraire évident est le GR de l’autre côté de la route avec descente sur le village de Laschamps. Pour rester plus en altitude et éviter la traversée du village, je vise le col de la Moreno (1062m), ce qui impose d’emprunter des chemins forestiers. Ils sont nombreux, et je sors la carte pour optimiser le parcours. Nous passons à l’Est du Puy de Salomon et à l’Ouest du Puy Montchié. Le col et la route franchis, nous prenons un chemin en balcon qui contourne le Puy de Laschamps par l’Ouest. Beau parcours malheureusement interdit par des barrières dotées de panneaux dissuasifs « Tir à balles réelles ». « Nous sommes en train de chasser ». Aussi dissuasifs que peu crédibles puisque présents 24/24 h et 365/365 j.

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Le Puy contourné par son balcon, nous arrivons à une clairière où l’on coupe le GR (1097m) pour monter sur le flanc Est et Sud du Puy de Mercoeur. L’idée est de s’approcher le plus possible du Puy de Lassolas pour rejoindre un petit col séparant les deux puys. On atteint ce petit col par un court passage en sous-bois, hors sentier, mal commode mais court. Ensuite, c’est la montée sur Lassolas avec ses vues dégagées sur la partie Sud des puys et l’immensité qui les sépare de la chaîne du Sancy. Le Puy de Lassolas, comme son voisin, le Puy de la Vache, sont deux volcans égueulés, très pédagogiques, assez fréquentés en été. Le temps semble se dégrader et je monte rapidement la tente sous un léger vent d’Ouest. Le bord du cratère, souvent balayé par les vents, est peu enneigé, et il faut choisir l’emplacement judicieusement pour ne pas atteindre, sous la neige, les cendres volcaniques (la pouzzolane).

Jour 3 Puy de Lassolas (1187m) – Puy de la Védrine (1311m) - 21 km
Réveil dans le brouillard. Pour la descente, deux options se présentent : suivre l’arrête vers le SE et enchaîner avec la traversée du Puy de La Vache ou descendre plein S la lèvre de Lassolas. Le peu de visibilité m’invite à choisir cette option, d’autant que la descente du Puy de la Vache avec ses escaliers un peu raides risque d’être difficile à négocier. Par beau temps, cette traversée d'arrêtes Lassolas-La Vache est de toute beauté, et j’aurais plutôt choisi ce parcours. Au pied de Lassolas, je lâche la corde qui freinait le traîneau, et laisse la chienne s’en débrouiller. Le terrain est plat qui conduit vers le Puy de Montchal à la Maison du Parc Des Volcans. Après la traversée de la route, le brouillard dissipé révèle les beaux cristaux de givre sous le soleil levant. Il y a moins de 9000 ans, une coulée de lave issue des volcans égueulés venait ici couper le lit d’un ruisseau pour former un barrage de basalte retenant les eaux du futur lac de Montlosier. Au lac gelé, un regard en arrière révèle les deux puys égueulés étincelants de glace sous une brume s’effilochant. Au col de la Ventouse, sur la N89, se pose le problème de la traversée du traîneau. Démontage, ou portage tel quel ? Pour une centaine de mètres sans neige, j’opte pour le portage. Nous retrouvons le GR 441, avec une belle vue sur le lac d’Aydat (résultant aussi du barrage par la coulée) avant de filer au N du village de La Garandie qui marque notre sortie de la chaîne des Puys.

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La glisse est parfaite, c’est plat, la chienne en profite pour m’imposer un pas de course qui me fait regretter de n‘avoir pas mes skis. Au loin, le massif du Sancy se rapproche. Nous passons près des premières maisons de Saulzet Le Froid en utilisant les trottoirs enneigés. Ensuite, une longue ligne droite nous conduit à Pessade, petite station de ski de fond. Il va falloir composer avec les pistes ! Derrière, au loin, le Puy de Dôme sous une lueur orangée, montre la distance déjà parcourue. A gauche du départ des pistes, un passage en lisière de forêt permet de contourner le village en évitant le domaine skiable. Je vise, par des pentes douces, le Puy de la Védrine à 1311 m, pour installer le camp. Pendant que le réchaud ronfle pour préparer l’eau, séance photos du soleil couchant. La chienne, en boule, a déjà commencé sa nuit. Le silence est total. L‘instant aussi banal que magique.

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Jour 4 Puy de la Védrine (1311m) – Roc de Cuzeau (1737m) - 16 km
L’aube est prometteuse, la journée sera belle pour une splendide traversée des crêtes. Le camp plié, nous partons SW en direction du Puy de Baladou en restant sous la piste noire de Pessade, presque à la limite de la forêt. Nous sommes en fait sur ce qu’il reste du stratovolcan de l’Aiguiller, plus récent que celui du Sancy, et qui s’est formé sous un glacier. Je pense à ce que l’on connaît aujourd’hui du volcanisme sous-glaciaire au Vatnajökul en Islande. Après le Baladou, le GR4 nous conduit au col de la Croix Morand où commence la traversée des crêtes. Le lieu est relativement fréquenté et notre attelage est l’objet d’étonnements et de nombreuses questions sur l’origine du chien, le parcours, le poids, les conditions de couchage dans la neige etc…

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La montée au Puy de la Tâche (1629m) est assez raide, elle nous gratifie de vues dégagées sur le lac de Guéry et sur tout le plateau avec son domaine nordique. Malgré la raideur, la chienne tire seule. Je la surveille, m’attendant à un arrêt, mais il n’en est rien ; elle s’arc-boute sur ses griffes et progresse vers le sommet où je lui octroie une pause. Ce soir, elle aura mérité sa double ration de croquettes ! Ensuite, c’est l’enchaînement très esthétique des puys de Monne, Barbier, Angle, avant la descente sur le col de la Croix Saint Robert et sa route non déneigée. Cette traversée de crêtes n’est guère praticable avec des skis nordiques. En revanche, de l’autre côté de la route, le vaste plateau de Durbise qui monte en pente douce vers le Roc de Cuzeau est plus adapté. La chienne, devant, continue seule. Curieusement elle semble savoir où aller. Mais après quelques minutes, elle appuie vers la gauche et mes appels sont sans effet pour la ramener en direction du Roc de Cuzeau. Elle est maintenant à 200 m et part à 90° de notre itinéraire.

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J’abandonne mon sac à dos pour courir après elle, en ordonnant le stop. Elle s’arrête enfin, et nous reprenons notre progression vers le but de l’étape. C’est dans la dernière pente sous le Roc de Cuzeau que je remarque des traces de sang dans la neige. L’inspection des pattes révèle en effet une griffe arrachée à l’avant gauche. Demain, ce sera parcours en chaussette ! Un travail de terrassement pour disposer la tente et la protéger du vent est accompli pendant que la chienne dort sur fond de soleil déclinant

Jour 5 Roc de Cuzeau (1737m) - Lac Chauvet (1180 m) 23 km
Le ciel commence à s’éclairer et les étoiles à disparaître, quand je lance la préparation du petit déjeuner. Il fait froid ce matin, -12°. La chienne est couverte d’une carapace de glace qui ne semble pas la gêner. J’inspecte la patte blessée. Hier elle a probablement senti une trace de chamois ou bouquetins quand elle s’est éloignée de notre itinéraire. Ils sont nombreux dans le coin ; plusieurs fois nous avons vu des hardes au loin. Au programme de ce matin, la traversée du domaine skiable du Mont Dore. Lors de l’étude de l’itinéraire, j’ai cherché à éviter le passage sur les pistes, mais cette petite station exploite la totalité des pentes praticables et il nous faudra au moins traverser le domaine au niveau du col de la Cabane. Heureusement le skieur de piste n’est pas très matinal. L’itinéraire, évident, suit la crête qui correspond au rebord de la caldeira, résultat de l’effondrement du stratovolcan du Sancy. En été, un bon sentier balisé, le GR4, accueille nombre de randonneurs.

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Aujourd’hui, l’ambiance est très différente. La solitude, le grand silence, une sorte de légèreté de l’air, un froid piquant contredit par les couleurs chaudes de l’horizon invitent à la rêverie et la contemplation. Le Puy de Cacadogne (1785m) est franchi facilement La descente sur le pas de la Grange se fait sur une neige très dure. Après la traversée rapide de la piste sans « mauvaise » rencontre, la montée par une large arête recevant les premiers rayons du soleil conduit au sommet du Sancy (1 886 m) avec sa table d’orientation prisonnière des glaces. Nous faisons une pause, profitant de l’absence de vent, ce qui est rare en cet endroit. Le terrain devient ensuite très alpin et n’est pas praticable en ski de randonnée nordique. Je reconnais mon terrain de jeu puisque je suis souvent sorti, en piolets et crampons, de ces couloirs de glace que je domine aujourd’hui. La vigilance s’impose avec un fort dévers qui met le traîneau dans la pente et y tire la chienne qui doit s’y opposer. Le Pas de l’Ane, trop rocheux et en glace, est évité par les pentes inférieures ; avant d’arriver au confortable col qui domine le val de Courre et le cirque de la Fontaine Salée. Ouf ! Nous voilà en terrain facile. La descente dans le cirque doit nous permettre de gagner le GR 30 en filant plein Sud. Ensuite il faut éviter les pistes de fond de la petite station de Chareyre.

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Le paysage change. Plus plat, nous pénétrons dans le massif de l’Artense. Petite pause à la cascade de la Barthe, partiellement prise dans la glace comme le ruisseau qui l’alimente. Toujours par le GR 30 nous parvenons au lac Chauvet, superbe site pour terminer une journée ensoleillée, bien remplie, avec l’installation d’un camp de rêve. La chienne libérée de son traîneau émet le grognement caractéristique de la demande polie, mais ferme, du service du dîner. Le soleil est couché depuis deux heures quand la sensation de froid me pousse dans mon sac de couchage. Dommage, le lac proposait ce soir un spectacle que je pourrais titrer « Des étoiles dans le cratère » ; et j’en étais le seul spectateur.

Jour 6 Lac Chauvet (1180 m) - Mont Chamaroux (1476 m ) - 25 km

Belle journée en perspective avec ce ciel étoilé et ce froid (-11°C). Le camp plié et les charges réparties, direction le lac de Montcyneire, autre lac emblématique de l’Artense. Pas de sentier pour cette partie. En été, c’est relativement impraticable car il y a une zone de marécage. Il faut prendre un cap à l’Est, en contournant une première forêt par la droite, puis une seconde par la gauche. La tourbière se trouve entre les deux forêts, mais sous le gel et la neige, ce n’est plus un obstacle. Le profil du terrain permettrait d’y évoluer en ski de randonnée nordique. L’arrivée au dessus du lac partiellement gelé, se fait dans une ambiance toute particulière.

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Dominé par le Puy de Montcyneire et dans un écrin de forêts sombres, le lac dégage une atmosphère d’intense austérité. Les vulcanologues considèrent cet ensemble comme faisant partie du groupe du Pavin, le plus jeune des volcans. Le passage du lac est un grand moment de solitude. Au bord, le cheminement sur sa partie gelée est facilité, et la chienne ne s’y est pas trompée, qui tire vers la gauche. Par sécurité, je lui impose de rester à la limite de la végétation. Après le lac, toujours sur le GR30, c’est le village de Compains qui nous accueille tout enneigé. Nous entrons maintenant dans le Cézallier, un vrai paradis nordique. Pour viser les lacs de La Godivelle, deux options, la plus directe, plein Sud, oblige à franchir de nombreux barbelés, le GR30 plus facile allonge de 5 km, mais c’est l’option que je choisi en passant par Brion étonnant petit village perché, avec son foirail démesuré. A l’entrée de La Godivelle, nous abandonnons le GR pour prendre une petite route enneigée qui longe par l’Est le lac d’en bas et conduit à une ferme bien isolée dans l’immensité blanche. En cette fin de journée le temps semble évoluer. La brume nous entoure. Peut-être un effet du lac ? Maintenant, c’est plein Sud pour gagner le sommet du Chamaroux où j’espère installer un camp avec vision à 360° sur le Cézallier, avec coucher et lever de soleil.

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Pour le coucher, ce sera compromis car le brouillard s’épaissit et la visibilité devient vraiment mauvaise. Sans itinéraire marqué, la chienne, devant, a du mal à se diriger. Boussole à la main, je dois fréquemment corriger sa trajectoire pour maintenir le cap au Sud. L’espoir de voir se dissiper le brouillard en montant s’évanouit. Notre rythme a faibli, le soleil est couché, il va faire nuit dans quelques minutes, il est temps de sortir alti et frontale. L’occasion pour moi d’enfiler la Gore Tex. Pour la chienne, c’est peut-être le signe de l’installation du camp et elle teste une ouverture possible vers son repas ! Je dois maintenant donner de la voix pour la motiver à monter. Vingt minutes plus tard, j’ai l’impression que nous sommes au sommet car je ressens de vagues descentes sous mes pieds dans les différentes directions. Pourtant l’alti n’indique que 1455m, nous serions à 20 m sous le sommet ? Je ne prends pas plus de temps pour la réflexion et décide de rapidement monter le camp ici, puisque le relief s’y prête. Nuit, brouillard, froid pénétrant, j’ai connu de meilleures conditions. C’est sans doute la précipitation dans ces conditions qui est responsable d’une mauvaise manipulation conduisant à un mélange des sachets de purée et de croquettes. Ce soir ce sera croquettes à la purée pour la chienne et purée aux croquettes pour moi !

Jour 7 Mont Chamaroux (1476 m ) - Montagne de Ségur (1200 m) - 28 km
Givré, le zip de la tente s’ouvre avec difficulté. La chienne, couverte d’une carapace de glace de plusieurs millimètres s’ébroue. Pour la séance de méditation contemplative devant l’illumination du Premier Matin du Monde, ce sera pour une autre fois. Le brouillard est omniprésent. Vite, nous entamons la descente, toujours plein Sud. Je veux trouver la petite route qui passe au col de Chamaroux pour faire le point. Aux confins des départements Puy de Dôme et Cantal, cette portion de route est rarement déneigée, le vent y formant rapidement des congères. C’est avec plaisir que je devine son tracé, mais avec grand étonnement que j’y découvre une improbable voiture ainsi que son conducteur prisonniers d’une congère.

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Ici les téléphones mobiles ne passent pas. Avec ma pelle à neige et une heure de terrassement, je suis son sauveur. Cette partie ouest du Cézallier a des formes douces, compatibles avec la pratique du SRN, le mont Chamaroux, ancienne cheminée d’alimentation, est une exception ici. Du col de Chamaroux (1291 m), un large chemin facile permet de retrouver l’itinéraire du Tour du Cézallier dit « chemin des vaches rouges » à cause de son balisage caractéristique représentant une tête de Salers (la race de vache maîtresse des lieux en été). Nous évoluons sur la montagne de Paillassière à environ 1400 m d’altitude avec un temps gris, mais une visibilité correcte. Des coins de ciel bleu commencent à apparaître puis des rayons de soleil qui jouent avec les reliefs et donnent une ambiance vraiment Grand Nord.

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Après le village de Pradiers, la descente vers l’Allanche mène à des zones parfois peu enneigées (à moins de 1000 m). Arrivés à la route (D678), nous quittons le chemin pour viser plein Est la voie ferrée désaffectée qui est utilisée l’été pour une activité touristique : le Vélo-rail. Glisser sur les traverses de cette voie pendant un km ne manque pas de charme et nous permet de contourner par le Nord le Bois de Roche Grande pour installer, fatigués, le camp sur la Montagne de Ségur vers 1200 m. Après la préparation du repas et de l’eau, alors que la chienne dort déjà, j’ai la flemme de monter la tente de nuit. Ce sera bivouac.

Jour 8 Montagne de Ségur (1200 m) - Puy de Niermont (1620 m) - 21 km
L’Est commence à s’éclaircir, les étoiles à s’éteindre, la chienne à rôder autour du bivouac, il est temps de se bouger, Le Cantal nous attend ! Les chargements respectifs sont vite terminés, et les patins du traîneau crissent sur la neige dure, alors que le soleil n’est pas encore levé. Notre premier objectif est de traverser la Santoire et sa vallée en visant le Pont de la Gazelle vers le Sud Ouest. Nous allons retrouver des altitudes (1020 m) où la présence de neige est aléatoire. En fait, tout se passe à merveille, avec juste un petit portage sur 200 m au niveau du pont. Le second objectif est la pointe Sud du lac de Serre en suivant d’abord quelques chemins ou routes puis plein Ouest hors traces. Le terrain étant facile (si ce n’est quelques barbelés à franchir) je marche seul, l’oeil sur la boussole, la chienne se débrouillant avec son traîneau. Il y a peu de neige, mais la glisse est bonne avec le gel. Le lac en vue, je passe entre le Lac de Serre et les burons de Nierpoux pour viser toujours à l’Ouest, le GR 4 qui va nous conduire directement dans le massif du Cantal en traversant d’abord le plateau du Limon. Cheminement facile, avec un soleil généreux, ces grands espaces de haut plateau donnent l’impression d’évoluer en plein ciel.

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Au loin, les sommets du Cantal se précisent. Si j’étais plus jeune de huit millions d’années, c’est un énorme massif de plus de 4000 m d’altitude que j’aurais devant moi. Aujourd’hui, après effondrement central ou explosion, rabotage par les glaciers, puis érosion, il a perdu plus de la moitié de sa hauteur. A 50 m à ma gauche, la chienne au rythme régulier semble faire son propre raid. Dans ce silence et cette sérénité, j’ai l’impression de vivre une parenthèse hors du temps. Le paysage change. Les sommets du Cantal sont maintenant tout proches, les bords du plateau du Limon semblent se rapprocher, alors que la pente, devant, se redresse, annonçant le Puy de Niermont et donc la fin de notre étape. C’est ce volcan qui en libérant des laves très fluides a crée ce plateau basaltique du Limon. Au sommet, un vent violent souligne le changement. Plus de plateau mais une large arête qui descend vers le col de Serre.

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Le terrain devient beaucoup plus alpin. Après une pause contemplative au sommet, le vent ne faiblit pas. Il faut se rendre à l’évidence, ce n’est pas là que nous passerons la nuit. Il faut descendre et trouver une plateforme abritée du vent avec assez de neige pour y faire les ancrages. A la première tentative, un arceau part dans la pente (ça glisse bien l’aluminium sur une pente de neige glacée !). Puis la toile de tente se prend pour un kite. Il faut encore descendre. A la deuxième tentative, plus bas, aussi infructueuse, je perds patience. Il faudrait être deux pour monter la tente. La chienne se contente de me regarder. Ce sera donc trou et muret de neige avec comme spectacle Peyre Arse (1806 m) et la pyramide du Puy Mary (1783 m), au fond de la vallée de l’Impradine, qui se termine comme ses consoeurs en cirque du bout du monde, mais ce sera pour demain. La lumière froide de la lune vient éclairer la nuit et jouer dans la fourrure blanche de la chienne endormie, quand je m’endors bercé par la musique du vent.

Jour 9 Puy de Niermont (1620 m) - Plomb du Cantal (1 855 m) - 32 km
Départ tôt car le programme est chargé à la fois en distance et en dénivelé (-920m, +1220m). Comme d’habitude, le matin, quand elle sait où aller et en descente, la chienne m’impose un rythme impossible. Courir dans cette pente glissante avec ce gros sac sur le dos paraît un peu fou. Je me cramponne à la corde qui retient le traîneau tout en lançant des « tout doux le chien, tout doux » pas très efficaces. Nous traversons le col de Serre (1309 m), point de départ de pistes de fond. A cette heure les lieux sont déserts et je suis tenté de prendre la route qui monte au Pas de Peyrol , réservée au ski de fond, ce serait plus court. Finalement je choisis la crête qui domine cette route, pour le plaisir de la vue et pour recevoir la lumière plus tôt. Nous sommes toujours sur le GR4, il n’y a plus de vent.

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L’imposante masse noire de la face Nord du Puy Mary commence à se présenter. J’ai décidé de ne pas monter sur ce magnifique sommet avec ensuite le suivi de la crête vers Peyre Arse bien que ce soit l’itinéraire le plus esthétique. Je connais bien ce coin pour y avoir pratiqué les couloirs de glace. Je crains que ce soit un peu trop technique avec chien, traîneau et gros sac. L’idée est donc de traverser en écharpe la face Nord du Puy Mary, passer sous la Brèche de Roland (l’auvergnate !) pour gagner les pentes Sud de Peyre Arse (1806 m). J’ai hâte de franchir cette partie qui m’inquiète un peu. En été, il y a un petit sentier et c’est presque une promenade de santé. Là, je crains que ce soit tout en glace. Heureusement le temps est au beau.

Nous arrivons au Buron d’Eylac, gîte parfait pour l’alpinisme hivernal et gagnons la route enneigée jusqu’au virage en épingle à cheveux, où nous nous trouvons au pied du mur, au sens propre comme au sens figuré. Un rapide coup d’œil ne laisse aucun doute. Pas de neige, que de la glace. Nous allons être en dévers pendant environ deux km et vers la fin, il vaut mieux ne pas tomber. Pour ce passage, et avant d’être coincé dans les difficultés, je libère la chienne du traîneau que je relie à ma taille, mets les crampons aux pieds et le piolet à l’épaule. L’ambiance est austère, typique d’une face Nord. Très vite le traîneau se met dans la pente, glisse ou roule sur lui-même. Tout y est parfaitement attaché et j’ai décidé de ne pas m’occuper de lui pour rester concentré sur ma progression. La chienne gambade avec une aisance que je lui envie. Elle est tout de même équipée de naissance de 16 griffes (aujourd’hui 15 si on enlève la griffe abîmée) terriblement efficaces sur la glace ! Lentement nous prenons de la hauteur et avons sous les yeux tout notre parcours, maintenant ensoleillé, depuis le Puy de Niermont.

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Nous sortons enfin de cette face Nord sur la crête de Peyre Arse en plein soleil. Un peu de repos et de réorganisation du matériel s’impose, alors que se révèle devant nous le splendide paysage autour du Puy Griou (1690 m), du col de Rombière (1549 m) et du col de Cabre (1528 m) juste en-dessous de notre position. Les grandes pentes sont idéales pour le SRN ou le ski de rando. Pour ne pas perdre d’altitude nous passons par ces deux cols pour contourner le Griou par son flanc Nord. Une rencontre (elles sont rares) d’un skieur de rando, au col de Rombière. Alors que nous échangeons quelques mots, ma chienne pousse soudain un hurlement ; je viens de lui marcher sur la patte… avec les crampons…quelle honte ! Une petite goutte de sang sur les poils blancs témoigne de l’incident. Avec une honte coupable j’essaie de la consoler, mais elle se comporte déjà comme si c’était du passé. Je quitte les crampons qui ne sont plus indispensables bien que confortables avec cette neige très dure. Ce beau sommet pointu qu’est le Griou mériterait qu’on y monte. C’est rocheux et assez raide, la chienne est allée au sommet en été et ce serait intéressant de comparer avec la montée en conditions hivernales, mais vu le programme de la journée, il est plus raisonnable de contourner par les pentes Nord.

Derrière, cachés, le Plomb du Cantal et la longue arête que nous emprunterons demain pour la dernière étape, s’étalent. Une longue descente en forêt nous conduit ensuite dans la vallée de la Cère, et par des sentiers, aux villages Les Chazes, puis Les Gardes où commence la sérieuse montée en forêt vers l’Arpont du Diable. Encore 700 m de montée pour notre objectif d’étape ! Il fait chaud dans cette montée, la chienne ralentit puis s’arrête. Nous faisons une pause, la mesure de température donne +10°. Après la sortie de la forêt, le sentier se perd mais l’itinéraire est évident vers un éperon bien marqué. Nous retrouvons le paradis blanc et un peu de fraîcheur. En bas, au loin, je distingue la station de Super Lioran. Le passage de l’Arpont du Diable s’avère un peu technique avec le traîneau en dévers. Derrière, des bruits attirent mon attention, deux silhouettes suivent notre itinéraire. Au Puy Brunet (1806 m) nous retrouvons un terrain plus facile sur la longue arête que nous descendrons demain. Le GR400 y passe. Nous nous dirigeons maintenant vers le Plomb du Cantal pour chercher notre emplacement.

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Les deux silhouettes nous rattrapent, ce sont des gendarmes en ski de rando ; intéressés par notre aventure, ils insistent pour que je n’hésite pas à les appeler en cas de problème. Sur la large arrête proche du sommet, je monte sommairement la tente, après une journée épuisante. Après réglage au sommet, l’alti indique maintenant1845 m. Le soleil va se coucher et j’installe rapidement mon pied photo pour saisir les jeux de lumières sur les sommets du massif au couchant. La chienne, guère sensible à ces considérations artistiques, réclame son dîner. Pour une fois elle sera servie avant moi. Il fait nuit quand après avoir mangé j’installe le réchaud pour préparer de l’eau pour le lendemain. C’est alors que le vent commence à souffler. J’entre dans le duvet pour attendre une accalmie qui ne viendra pas. Sur cette crête, mal protégée, le vent redouble de violence, et il m’est impossible d’allumer le réchaud dans des conditions de sécurité acceptable ; nous n’aurons pas d’eau ! La tente mal haubanée se couche sur moi. Le ronflement du vent qui souffle maintenant en tempête me coupe de toute perception de ce que peut faire ma chienne. J’ai repéré plusieurs corniches autour du camp, qui, dominant des à pics, pourraient se révéler dangereuses. Je décide de faire dormir la bête dans la tente, et c’est je crois avec un certain soulagement qu’elle s’installe à l’intérieur. Cramponné aux arceaux, l’altimètre sous les yeux, il me faut un moment pour réaliser qu’il indique maintenant 1905 m. Incroyable ! En trois heures il a pris 60 m. La chute de pression est importante, et la météo ne l’avait pas signalée.

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Jour 10 Plomb du Cantal (1 855 m) – Thiezac (800 m) - 16 km
Après une nuit blanche passée à lutter contre le vent et des crampes aux cuisses, la tempête est tombée. C’est maintenant le silence et un brouillard givrant qui baignent les lieux. Rapidement et sans grand soin, je range le matériel, considérant que, ce soir, je dors dans un vrai lit. J’ai maintenant hâte de perdre de l’altitude avec l’espoir de gagner en visibilité. L’itinéraire, sur la crête, est évident. Nous progressons depuis 10 mn quand soudain une violente glissade du pied gauche me déséquilibre. A plat ventre sur le rocher verglacé, me voila parti dans une descente sans fin emportant d’abord le traîneau, puis la chienne qui malgré ses mouvements de pattes ne parvient pas à enrayer la chute. C’est une main invisible sortie du brouillard qui nous stoppe enfin.

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La chienne est déjà sur moi à me donner de grands coups de langue sur le visage, quand je réalise que c’est mon sac à dos qui est venu se coincer sous un barbelé. La clôture est faite pour que, en été, le bétail ne s’approche pas de la barre rocheuse qui est dessous. A cet instant précis, j’ai une immense gratitude pour ce barbelé, et c’est bien la première fois que j’ai ce genre de sentiment pour cet objet. Il aurait été judicieux de chausser les crampons ; maintenant nous sortons de la zone verglacée, l’arête se fait plus large, plus neigeuse, nous pouvons presque courir d’autant plus que le brouillard semble vouloir se dissiper. En effet, vers le Puy Gros (1594 m) les sommets du Cantal, étincelants, font oublier la mauvaise nuit et l’inquiétante glissade. Par ce GR 400 qui suit une ancienne voie romaine, nous allons gagner la vallée de la Cère, avec un soleil de plus en plus présent, mettant en valeur la pyramide blanche du Griou dans une dernière touche optimiste pour conclure ce raid de 10 jours.

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